A Dieu, Jean

L’écrivain Jean Raspail, qui accompagna dans les années 1980 l’aventure du « Figaro Magazine », est mort à 94 ans. Homme de panache et de convictions, il laisse une œuvre romanesque inoubliable.

En 1985, douze après sa parution, le Camp des Saints, le roman de Jean Raspail, était réédité. L’ouvrage décrit la crise déclenchée en Occident par le débarquement sur le littoral méditerranéen d’un million de miséreux en provenance du Tiers-Monde. Dans nos colonnes, Louis Pauwels, notre directeur, avait choisi de présenter lui-même ce livre. « Cent navires à bout de souffle s’échouent, chargés d’un million d’affamés, analysait-il. Ils sont l’avant-garde du monde pauvre qui va déferler, sans violence, mais avec l’irrésistible force de la misère qui rêve. Que faire ? Résister ? Comment ? Et au nom de quoi ? Nous sommes devenus moraux, incertains de nos mérites et de nos droits, d’identité fragile » (Le Figaro Magazine du 23 février 1985).

Jean Raspail, disparu le 13 juin dernier, dans sa 95e année, collaborait alors régulièrement au Figaro Magazine. L’année de cette première réédition du Camp des saints, son auteur serait associé à l’une des plus virulentes polémiques de l’histoire du journal. « Serons-nous encore français dans 30 ans ? », se demandait-on notre numéro du 26 octobre 1985, dont la couverture s’ornait d’une Marianne voilée d’un tchador. Derrière son accroche provocante, cette enquête sur l’immigration s’appuyait sur les calculs du démographe Gérard-François Dumont qui montrait l’inéluctable progression, au sein de la population française, du pourcentage d’habitants d’origine non européenne. « Nous nous acheminons vers l’irréversible », soulignait Raspail qui, commentant ces statistiques, prévoyait la création « d’enclaves étrangères dans l’Hexagone ». Plusieurs jours durant, ce dossier du Figaro Magazine déclenchait pleurs et grincements de dents chez tous ceux qui faisaient vertu d’antiracisme. Vingt ans plus tard, constater l’existence de « territoires perdus de la République » serait devenu un lieu commun. C’est donc Raspail qui avait raison. « Je me souviens avec jubilation de ce combat », m’écrivait-il en 2018, me remerciant d’avoir évoqué cet épisode dans un article consacré aux quarante ans d’engagement du Figaro Magazine dans le champ des idées.

Jean Raspail, qui ne cachait pas ses fidélités royalistes, était un homme de convictions fortes, hanté par la crainte de la décadence de notre civilisation. Il serait fallacieux, toutefois, de le cataloguer comme un partisan ou un militant. Il était avant tout un écrivain, un créateur d’univers et de personnages, qui a laissé plus de quarante livres récompensés par d’innombrables prix. Chroniqueur et romancier, il avait commencé sa carrière par des ouvrages qui racontaient ses rencontres, de l’Alaska à la Terre de feu et des Caraïbes au Japon, avec des peuples menacés de disparition par la modernité. À cet ancien scout féru de jeux de piste, Le Figaro Magazine avait permis de sacrifier à son goût du large en publiant ses récits de voyage. En 1995, dans le cadre d’une série d’été intitulée « l’Europe au vent des Iles », il était parti pour les Iles Féroé, dont il avait aimé la sauvagerie. En 1996, pour la série « l’Europe des lacs oubliés », il avait découvert le lac de Neusiedl, en Autriche. En 2002, il avait parcouru les Highlands, sur les traces du roi d’Ecosse, Bonnie Prince Charlie, le dernier des Stuarts, qui tenta en 1745 de reconquérir son trône. Deux siècles après, en Ecosse, se réjouissait Raspail, « on lève encore son verre à la santé du roi au-delà de la mer ».

En 1981, l’écrivain s’était déclaré consul général de Patagonie, ultime représentant du royaume d’Araucanie et de Patagonie, fondé en 1860 par Orélie-Antoine de Tounens, un avoué de Périgueux dont deux de ses romans avait révélé l’authentique aventure. Jean accordait la nationalité patagonne à des amis qui, comme lui, chérissaient le panache et les gants blancs, la chevalerie et l’Eglise d’autrefois, la courtoisie et la galanterie, la mer et la brume, l’élégance des duffle-coats britanniques et des vestes autrichiennes, le tabac blond et les vieux whiskies, et surtout les légendes sans lesquelles un pays meurt de froid. Il nous manquera.

Jean Sévillia

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques