Birthe Lejeune : une vie au service des trisomiques

Mercredi 6 mai 2020, Birthe Lejeune a rejoint son mari dans l’éternité. Elle avait 92 ans, était veuve depuis ce jour de Pâques 1994 où Jérôme Lejeune, à 67 ans, était parti trop tôt. Vingt-six années à vivre sans lui, en réalité vingt-six années à vivre avec lui, dans une intimité prolongée par-delà la mort. Car elle avait mis son inépuisable énergie à poursuivre son œuvre au service des porteurs de trisomie 21.

Elle était née Birthe Bringsted, en 1928, à Otterup, à quelques kilomètres d’Odense, au Danemark, son pays de cœur où elle aimait emmener sa famille en vacances dans une cabane rustique au bord d’une eau à la température toute nordique. De son Danemark, elle avait gardé l’accent et un type esquimau qui faisaient son charme. C’est en 1950, à Paris, où elle était venue comme fille au pair, qu’elle avait rencontré Jérôme Lejeune. En ce temps-là, les rencontres amoureuses mûrissaient sobrement. En 1952, ils se fianceront à Paris, après que Birthe se fut convertie au catholicisme, puis ils se marieront à Odense. Jeune couple fauché, ils s’installent à trois pas de Notre-Dame de Paris, dans un vieil appartement prêté par les parents de Jérôme, sous le même toit où elle morte aujourd’hui. Il a passé sa thèse de médecine l’année précédente, et s’oriente vers la recherche en génétique. Entré dans le service du Pr Turpin, à l’hôpital Saint-Louis, il travaille sur ce qu’on appelait encore le mongolisme, avec l’espoir de soulager les familles des handicapés, mais plus encore de soigner ceux-ci. C’est dans ce contexte qu’il découvre que cette maladie est due à la présence d’un chromosome surnuméraire pour la 21e des vingt-trois paires de chromosomes humains.

Après la publication de sa découverte, Jérôme Lejeune obtient une reconnaissance mondiale. A la proposition de présider une chaire de génétique à la Columbia University, il préfère, décision prise avec Birthe, poursuivre en France son travail d’enseignant-chercheur, tout en se rendant aux Etats-Unis pour prononcer des conférences, participer à des congrès scientifiques et recevoir des prix.

En 1962, il est lauréat du premier prix Kennedy pour la recherche sur les maladies de l’intelligence qu’il reçoit à la Maison-Blanche. Expert en génétique à l’Organisation Mondiale pour la Santé, professeur de génétique fondamentale à la Faculté de médecine de Paris, chef de l’unité de cytogénétique à l’Hôpital Necker-Enfants-Malades, Jérôme Lejeune suit des centaines de trisomiques au sein de sa consultation. Birthe, elle, s’occupe de ses cinq enfants, fière de son mari. En 1969, il reçoit une nouvelle récompense : le William Allen Memorial Award à San Francisco. Mais la vie du couple Lejeune va basculer à cause du discours que Jérôme prononcera lors de la réception du prix : ayant remarqué la volonté de certains scientifiques de recourir aux techniques de dépistage de la trisomie afin de procéder à des avortements sélectifs, il met en garde contre un « racisme chromosomique ». Jérôme Lejeune, désormais, professe que l’embryon, comme le fœtus, est à respecter, puisqu’il est un homme en devenir. Au moment où les sociétés occidentales se dirigent vers la légalisation de l’avortement, cette position engagée et à contre-courant va stopper la carrière du généticien. Elle lui vaudra en revanche l’amitié de Paul VI, puis de Jean-Paul II. Birthe Lejeune aura soutenu son mari dans tous ses combats, quelque renoncement cela signifiât.

En 1996, deux ans après la mort de son mari, elle avait créé, avec sa famille, la Fondation Jérôme-Lejeune, dont l’objet est de poursuivre son œuvre au service des trisomiques qu’ils avaient tant aimés, et qui les ont tant aimés. Membre de l’Académie pontificale pour la vie et du Conseil pontifical pour la santé, elle travaillait sans relâche, montrant de l’attention à chacun des membres de sa fondation. Confinement oblige, Birthe Lejeune n’aura pas les obsèques qu’elle aurait méritées. Ultime modestie de cette petite dame qui était si grande.

Jean Sévillia

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques