Un entretien avec le cardinal Bertone

Exclusif. Deux des plus proches collaborateurs du pape, le cardinal secrétaire d’Etat, Tarcisio Bertone, et le secrétaire pour les Relations avec les Etats, Mgr Mamberti, nous ont reçus à Rome. Ils nous en ont dit plus sur les projets de Benoît XVI.

Avec le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat du Vatican, et Mgr Dominique Mamberti, secrétaire pour les Relations avec les Etats du Saint-Siège – deux hommes dont les fonctions sont couramment désignées, par analogie, comme celles de Premier ministre et de ministre des Affaires étrangères du souverain pontife –, ce sont deux des plus hauts et des plus proches collaborateurs de Benoît XVI qui ont accordé un entretien exclusif au Figaro Magazine. Bénéficiant de la confiance du pape, les deux prélats, nommés en 2006, reflètent fidèlement l’orientation du nouveau pontificat.

La première nomination que Benoît XVI a effectuée après son élection, en 2005, a consisté à se remplacer lui-même : à la tête de la congrégation pour la Doctrine de la foi, poste qu’il occupait depuis 1981, il a désigné un Américain, le cardinal William Levada. Puis le souverain pontife a pris le temps de la réflexion. Il le prend encore, au demeurant, n’ayant pas achevé de renouveler la curie romaine : les hommes nommés par Jean-Paul II y sont nombreux. Benoît XVI, d’une part, est trop respectueux de son prédécesseur pour donner l’impression de bousculer son héritage. Sa méthode, d’autre part, a toujours été marquée par cet esprit : agir avec fermeté, mais sans précipitation. C’est donc seulement plusieurs mois après avoir été élevé au pontificat que Josef Ratzinger a commencé à donner des successeurs à ceux des cardinaux qui – préfets d’une des neuf congrégations romaines ou présidents d’un des onze conseils pontificaux – étaient atteints par la limite d’âge des 75 ans. C’est ainsi que, en 2006, le cardinal Ivan Dias, un Indien, a été désigné à la tête de la congrégation pour l’Evangélisation des peuples ou le cardinal Claudio Hummes, un Brésilien, à la congrégation pour le Clergé. D’autres changements auront lieu dans les mois à venir.

Mais les vaticanistes guettaient surtout les nominations à la secrétairerie d’Etat. Celle-ci est présidée par le cardinal secrétaire d’Etat, lui-même assisté, pour les affaires internes de l’Eglise, par le substitut pour les affaires générales (actuellement Mgr Sandri, en poste depuis 2000, et qu’on dit sur le départ) et, pour les questions externes, par le secrétaire pour les Relations avec les Etats. Les trois prélats responsables de la secrétairerie d’Etat occupent en conséquence une place stratégique dans l’Eglise catholique puisque, placés sous l’autorité directe du souverain pontife, ils assurent la liaison entre le pape et la curie romaine, entre le pape et les évêques du monde entier, entre le pape et les représentants du Saint-Siège, et entre le pape (qui a rang de chef d’Etat) et toutes les nations ou institutions internationales qui entretiennent des relations diplomatiques avec le Vatican.

Nouveau secrétaire d’Etat, le cardinal Tarcisio Bertone, un Italien de 72 ans, ancien archevêque de Gênes, est un familier de Benoît XVI : de 1995 à 2002, il a été le secrétaire de la congrégation pour la Doctrine de la foi quand le cardinal Ratzinger en était le préfet. Religieux salésien, le cardinal Bertone est à la fois un intellectuel et un homme d’action qui n’a pas la langue dans sa poche, qu’il s’agisse de critiquer le Da Vinci Code ou de dire du bien… du football (supporter de la Juventus de Turin, le cardinal Bertone a naguère commenté des matches à la télévision).

Nouveau secrétaire pour les Relations avec les Etats, Mgr Dominique Mamberti est âgé de 55 ans. Avec ce Français à la secrétairerie d’Etat, Benoît XVI maintient une tradition qu’on a vue sous Paul VI (avec le cardinal Villot) ou Jean-Paul II (avec le cardinal Tauran).

Jean Sévillia et Nicolas Diat

Bertone : « Foi et raison ne s’opposent pas »

Le Figaro Magazine – Eminence, comment définir le rôle du secrétaire d’Etat du Vatican ?

Le cardinal Bertone – Le secrétaire d’Etat est le premier collaborateur du pape, le premier qui l’aide dans sa mission universelle, tant pour la vie de l’Eglise que pour les relations avec les Etats ou les organisations internationales. Comme à l’époque où j’étais le secrétaire de la congrégation pour la Doctrine de la foi, que présidait le cardinal Ratzinger, je veux être un collaborateur loyal du Saint-Père, capable d’interpréter parfaitement sa pensée et sa volonté pour la transmettre à tous les niveaux de la curie romaine, à l’épiscopat du monde entier et à tous les représentants diplomatiques du pape.

Benoît XVI vient de publier une exhortation apostolique, « Sacramentum caritatis » (le sacrement de l’amour), consacrée à l’eucharistie. Ce texte insiste sur la dimension sacrée de la liturgie catholique…

Le pape a souvent expliqué que la réforme voulue par le concile Vatican II avait pour véritable objectif de remettre Dieu au centre de la liturgie et de permettre au peuple chrétien de comprendre le sens des grands rites. Vatican II désirait conserver la valeur intrinsèque de la liturgie, tout en permettant aux fidèles une participation à la célébration du sacrifice divin. Le Saint-Père demande donc aux évêques, aux prêtres et aux fidèles une véritable application des textes du concile, par exemple par l’emploi du latin et du grégorien, que la réforme de Paul VI n’a jamais proscrits, mais bien au contraire, voulait conserver à leur juste et grande place.

Pourquoi le cardinal Ratzinger, et maintenant le pape Benoît XVI, ontils si souvent condamné les interprétations jugées abusives de la liturgie ?

L’application des grandes orientations du concile a malheureusement pu connaître des traductions plus ou moins erronées, conduisant à des appauvrissements notables. Les fruits de la réforme liturgique du concile n’en restent pas moins considérables. Il est vrai que les abus doivent être combattus, car une partie du peuple chrétien a pu s’éloigner de l’Eglise en raison de ces errements. Les erreurs ne sont pas dans les textes du concile, mais dans les comportements de ceux qui ont prétendu interpréter à leur propre guise la réforme liturgique de Vatican II.

Un décret élargissant la possibilité de célébrer la messe en latin selon le rite antérieur à Vatican II (la messe dite de saint Pie V) est-il toujours prévu ?

La valeur de la réforme conciliaire est intacte. Mais tant pour ne pas perdre le grand patrimoine liturgique donné par saint Pie V que pour accéder au souhait des fidèles qui veulent assister à des messes selon ce rite, dans le cadre du missel publié en 1962 par le pape Jean XXIII, avec son calendrier propre, il n’y a aucune raison valable de ne pas donner aux prêtres du monde entier le droit de célébrer selon cette forme. L’autorisation du souverain pontife laisserait évidemment toute sa validité au rite de Paul VI. La publication du motu proprio précisant cette autorisation aura lieu, mais ce sera le pape lui-même qui expliquera ses motivations et le cadre de sa décision. Le souverain pontife donnera personnellement sa vision de l’utilisation de l’ancien missel au peuple chrétien, et en particulier aux évêques.

En Europe occidentale, l’Eglise connaît une crise importante des vocations sacerdotales et religieuses. Comment enrayer la chute ?

Contrairement aux idées reçues, il faut rappeler qu’il y a toujours eu des périodes de crise des vocations, puis des mouvements de reprise. Si la crise actuelle remonte aux années 1965 et suivantes, son amplitude fut très différente d’un pays à l’autre. Aujourd’hui, nous observons des signes évidents de renouveau. En Italie, de nombreux diocèses connaissent une augmentation certaine des vocations. J’ai par ailleurs le sentiment que les nouvelles vocations sont plus fortes et plus mûres qu’en d’autres temps.

Une des raisons de la baisse du nombre d’ordinations ne réside-t-elle pas dans le manque d’attrait, et peut-être de solidité, de la formation intellectuelle et spirituelle des futurs prêtres dans les séminaires diocésains, en France particulièrement ?

Effectivement, la formation des futurs prêtres est fondamentale. Le cursus des séminaristes doit intégrer une excellente appréhension des vertus sacerdotales, en particulier le célibat, la prière et la consécration inconditionnelle au Christ. Les supérieurs des séminaires ont l’obligation de réfléchir à l’importance de la formation à une vie de prière authentique. Par ailleurs, la promotion des vocations doit être constante. Il y a eu dans ce domaine un certain laisser-aller, totalement inadmissible et pour le moins surprenant. Dans mon ancien diocèse de Gênes, j’ai le souvenir de jeunes qui ont renoncé à de futures carrières professionnelles très brillantes, pour entrer au séminaire avec l’idée d’aider l’Eglise et le pape à changer le monde. Ces jeunes sont des modèles rayonnants, et leur épanouissement au service de l’Eglise doit être donné en exemple.

Il semble que le Saint-Siège rencontre des difficultés persistantes avec le monde des médias. Beaucoup d’analystes soulignent même une certaine difficulté de l’Eglise à communiquer…

Nous sommes effectivement confrontés à un problème d’une extrême gravité. Les messages de l’Eglise sont soumis à une forme de manipulation et de falsification de la part d’un certain nombre de médias occidentaux. J’observe une fixation de certains journalistes sur les thèmes moraux, comme l’avortement ou les unions homosexuelles, qui sont bien sûr des enjeux très importants, mais qui ne résument absolument pas la pensée et l’oeuvre de l’Eglise. Ainsi, force est de constater le peu d’échos apporté par la presse aux activités sociales et caritatives des milliers d’organisations catholiques dans le monde. Pourquoi ce silence assourdissant ? Si nous repensons au discours du pape à Ratisbonne, je ne comprends pas l’erreur des médias qui n’ont jamais souligné que les propos du Saint-Père ne portaient pas spécifiquement sur l’islam, que le thème central de son intervention était celui de Dieu présent au centre de la vie sociale, une société sans Dieu étant destinée à l’autodestruction. La pensée de Benoît XVI a été proprement occultée. Les commentateurs qui isolent des phrases, dans une extrapolation fallacieuse des choses, se livrent à un exercice malhonnête de leur métier.

Archevêque de Gênes, vous avez eu des propos très virulents contre le livre et le film « Da Vinci code ». A posteriori, comment jugez-vous ce phénomène ?

Nous retrouvons aujourd’hui le même type d’attaque avec le film de James Cameron, qui prétend avoir retrouvé l’ossuaire du Christ et de sa famille. Il s’agit d’une stratégie menée contre l’Eglise et contre la figure divine du Christ. Ces campagnes cherchent à saper la foi du peuple chrétien et la confiance des fidèles envers l’Eglise. Concernant le Da Vinci code, il était impossible, même dans le cadre d’une oeuvre romanesque, de laisser sans réponse de telles inventions et de telles stupidités, qui ont pour seule source la malveillance la plus cupide. Les évangiles apocryphes, auxquels ces films ou ces livres se réfèrent, ne sont pas, comme certains cherchent à le faire croire, une découverte contemporaine. La plupart de ces textes sont connus depuis l’Antiquité. Les évangiles apocryphes les plus anciens remontent au IIIe siècle après. J.-C., alors que les Evangiles reconnus par l’Eglise ont été écrits, au plus tard, quelques décennies après la vie, la mort et la résurrection du Christ. Les auteurs qui cherchent à semer la confusion entre ces deux sources profitent de l’ignorance religieuse. L’Eglise doit donc reprendre en main l’organisation de la catéchèse, renouveler la prédication de ses pasteurs et dénoncer systématiquement les mensonges. Le Saint-Père résume parfaitement ce combat en expliquant que nous avons le devoir d’affirmer ensemble les raisons historiques, philosophiques et théologiques de la foi.

Pourquoi Benoît XVI donne-t-il à la lutte contre le relativisme une place aussi importante ?

La dénonciation des ravages du relativisme constitue un défi historique pour l’Eglise. Car une société qui considère que rien n’a vraiment d’importance et que tout se vaut ne peut plus reconnaître une vérité absolue, ni même partager des valeurs universelles. Le pape veut rappeler l’importance du droit naturel, sur lequel se fondent les normes de la communauté internationale. Le procès de Nuremberg n’aurait pu avoir lieu sans les bases d’une morale naturelle reconnue, qui précède les autres lois. Dans la Lettre aux Romains, saint Paul écrit bien que cette morale est inscrite dans le coeur de l’homme. Il faut combattre le relativisme en cherchant à expliciter le véritable lien qui existe entre la foi et la raison : la foi et la raison ne s’opposent pas.

L’introduction d’une nouvelle religion sur le sol européen, avec l’islam, ne représente-t-elle pas un autre défi nouveau pour l’Eglise ?

Le multiculturalisme est aujourd’hui un fait dans un certain nombre de pays européens, en particulier la France. L’Eglise en prend acte, et entend naturellement se mesurer à cette situation. La présence catholique et chrétienne en Europe présuppose une affirmation sans complexe de notre identité. Nous revenons ainsi à l’impérieuse nécessité de la catéchèse et de l’éducation, en particulier l’éducation morale. Les racines chrétiennes de l’Europe sont avant tout des repères spirituels et moraux. La connaissance de ce que nous sommes permet la confrontation et le dialogue avec d’autres cultures et d’autres visions de l’homme. Dans son discours de Ratisbonne, le Saint-Père a bien précisé qu’une saine confrontation avec l’islam n’est pas seulement une nécessité de fait, mais une exigence afin de concevoir les principes qui peuvent nous unir, ainsi que nos différences. Au-delà de la vaine polémique qui a suivi ce discours, de nombreux penseurs de l’islam ont perçu positivement cette invitation du pape à confronter nos deux systèmes.

Dans nos sociétés laïques, quelle peut être la place de l’Eglise dans l’espace public ?

La laïcité, c’est l’autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse, non par rapport à la morale. Je regrette que certains Etats, en particulier la France, se soient tant opposés à l’inscription des racines chrétiennes dans le projet non abouti de Constitution européenne. Il ne faut pas confondre la laïcité et le laïcisme. La foi n’est pas un fait privé : elle touche l’ensemble des composantes de la vie de la cité. En France, la foi a été le moteur d’oeuvres sociales caritatives immenses, telles que la Société de Saint-Vincent-de-Paul ou le Secours catholique. La foi exige donc une grande visibilité.

Quels sont les souvenirs particuliers que vous gardez de votre longue fréquentation du Saint-Père ? Quels sont, selon vous, les traits marquants de sa personnalité ?

Benoît XVI est d’abord un grand penseur, un authentique intellectuel, qui peut pourtant exprimer sa réflexion avec des mots très clairs. Préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, il disait qu’il était d’abord un protecteur de la foi des simples, contre tous les systèmes obscurs des intellectualistes. Le pape veut d’abord protéger la foi du peuple. J’entends souvent cette réflexion humoristique selon laquelle les fidèles venaient autrefois voir le grand pape Jean-Paul II, alors que maintenant, ils viennent entendre Benoît XVI… Le Saint-Père est un homme très doux, très affable, et toujours cordial. Il cultive l’amitié. Lorsque je travaillais à ses côtés à la congrégation pour la Doctrine de la foi, je m’étais rendu compte qu’il avait un réseau d’amis absolument extraordinaire, issus de tous les milieux et de toutes les religions. Alors qu’il traversait à pied la place Saint-Pierre pour se rendre à son bureau, les jeunes venaient toujours vers lui pour discuter librement de leurs vies, de la foi et de Dieu.

Propos recueillis
par Jean Sévillia et Nicolas Diat

Un Français au Vatican

Si on lui demande ce qui pourrait lui arriver de mieux, Mgr Mamberti répond très simplement : «D’être digne de la confiance du Saint-Père et du cardinal secrétaire d’Etat. » Pudique et discret, l’homme est de ceux qui s’effacent devant leur fonction. « C’est un grand honneur qui m’a été fait, consent-il tout juste à avouer, mais c’est surtout une très grande responsabilité. » Depuis six mois, ce Français est secrétaire pour les Relations avec les Etats, ce qu’on appelle par analogie le ministre des Affaires étrangères du Vatican.

Si Benoît XVI et le cardinal Bertone ont fait confiance à ce prélat, ce n’est pas un hasard : il est un brillant produit de la diplomatie pontificale. Dominique Mamberti naît en 1952, au Maroc, au hasard d’une affectation de son père, fonctionnaire civil de la Défense, mais ses parents rejoignent peu après la métropole, puis le berceau familial corse. Ses études supérieures (droit public et sciences politiques) le mèneront à Strasbourg et à Paris. Entré ensuite au séminaire français de Rome, ordonné en 1981, il exerce son ministère dans le diocèse d’Ajaccio pendant l’été, avant d’entamer des études de droit canonique à l’université grégorienne. C’est le doyen de la faculté qui signale son nom à la secrétairerie d’Etat, qui, à son tour, demande le consentement de l’évêque d’Ajaccio pour le destiner au service diplomatique du Vatican. En 1982, ce prêtre polyglotte (il parle anglais, espagnol et italien) intègre l’Académie pontificale ecclésiastique, à Rome, où sont formés les diplomates du Saint-Siège. Entre 1986 et 1999, le père Mamberti est successivement en poste en Algérie, au Chili, à New York (à la mission permanente du Saint-Siège auprès des Nations unies) et au Liban. Rappelé au Vatican, il reste ensuite trois ans à la secrétairerie d’Etat.

En 2002, à 50 ans, il devient nonce apostolique, c’est-à-dire ambassadeur du pape : il est le premier de sa promotion de l’Académie pontificale à recevoir ce titre, porté par six Français seulement. Nommé au Soudan (et ordonné archevêque), il possède un champ d’action qui s’étend un temps à la Somalie, puis à l’Erythrée. C’est à Khartoum qu’il a appris sa nomination auprès du cardinal Bertone.

A Rome, Mgr Mamberti se trouve à la tête d’une cinquantaine de collaborateurs, membres du service diplomatique (tous prêtres) ou cadres administratifs du Saint-Siège (dont des laïcs, y compris des femmes). Son rôle est d’assurer la liaison entre le pape, le secrétaire d’Etat, les bureaux romains et la centaine de nonciatures ou de représentations permanentes du Vatican auprès des organisations internationales. « La couverture du Saint-Siège à travers le monde est très bonne à l’heure actuelle », estime-t-il.

Lorsqu’il a été nommé, en septembre dernier, c’était en pleine crise diplomatique : le discours prononcé par le pape à Ratisbonne venait de déclencher une tempête dans le monde musulman. Le souverain pontife avait dû réunir les ambassadeurs des pays concernés afin de leur expliquer que sa pensée avait été déformée. A peine en place, Mgr Mamberti avait activé le réseau des nonciatures pour répercuter le message : non, le Vatican ne prêchait pas la croisade contre l’islam ! Il reste que la nomination au sommet de la diplomatie vaticane de ce connaisseur du Proche et du Moyen-Orient et de l’Afrique est significative du déplacement des enjeux géopolitiques. Il y a trente ans, derrière le cardinal Casaroli, le Saint-Siège se souciait d’abord des relations avec l’Est. Aujourd’hui, avec Mgr Mamberti, le cardinal Bertone est secondé par un prélat qui, lorsqu’il était à Alger, à Beyrouth ou à Khartoum, a vu les effets de la fièvre islamiste.

« Le dialogue entre les différentes civilisations, cultures et les religions, auquel personne ne peut se soustraire, sera une des grandes questions que j’aurai à traiter dans le cadre de ma mission», déclarait Mgr Mamberti au moment de sa prise de fonction. De ce point de vue, il a du pain sur la planche. La Turquie doit-elle entrer dans l’Europe ? Le diplomate rappelle qu’il n’appartient pas au Saint-Siège d’avoir une position sur un problème qui est avant tout celui de l’admission d’un Etat dans l’Union, tout en invitant la Turquie à adopter les valeurs européennes. L’Irak ? Mgr Mamberti salue « la lucidité de la position exprimée par Jean- Paul II ». Le pape en Russie ? Un voyage n’est pas à l’ordre du jour, mais une rencontre entre Benoît XVI et le patriarche Alexis dans un pays tiers, pourquoi pas ? Le Vietnam, la Chine ? Dans ces pays où le parti communiste est encore au pouvoir, l’Eglise fait preuve d’une belle vitalité. L’Afrique, continent en péril ? Soulignant le rôle des chrétiens dans les domaines de la santé et de l’éducation, Mgr Mamberti rappelle que le Saint- Siège « soutient l’annulation de la dette des pays pauvres et s’associe aux efforts pour limiter la prolifération des armes ». L’Amérique latine ? « Benoît XVI se rend au Brésil au mois de mai. »

Dominique Mamberti est corse, et n’oublie jamais qu’il a été ordonné prêtre dans la cathédrale d’Ajaccio. Un amour viscéral l’attache à son île où, traditionnellement, il revenait chaque été. Fils unique, il a d’abord perdu son père, puis – il y a peu – sa mère. Avec ses hautes et nouvelles responsabilités, il ne sait pas quand il reverra sa maison. Dans cette confidence lâchée à l’issue de notre entretien, c’est le seul moment où nous avons vu percer l’ombre d’un regret.

Jean Sévillia et Nicolas Diat

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