Comment vivaient nos ancêtres

Les chercheurs sont de plus en plus nombreux à faire parler les archives sur la vie quotidienne d’autrefois. En témoignent les travaux consacrés à l’Ancien Régime.

En 2005, le musée national des Arts et Traditions populaires a fermé ses portes. Créé au Trocadéro en 1936 – avec la bénédiction du Front populaire -, il visait à conserver des objets d’autrefois, témoins d’une France rurale, essentiellement paysanne. Installé en 1972 au bois de Boulogne, l’établissement avait vu sa fréquentation décroître : 125 000 entrées en 1978, 22 000 en 2003. Il est vrai que, pendant trente ans, les autorités avaient peu fait pour en assurer la promotion, quand la moindre exposition d’art « premier » ou d’art contemporain avait bénéficié de toutes les faveurs, et accessoirement de la manne publique.
La raison véritable de la condamnation du musée des Arts et Traditions populaires, c’est qu’il n’était plus dans le ton, à l’heure où il convenait de s’incliner devant les «cultures autres».

Défiant, fût-ce sans le savoir, le politiquement et le muséalement correct, les foules, spécialement les foules estivales, n’hésitent cependant pas à se presser dans les lieux qui évoquent la France profonde de jadis. Du spectacle du Puy du Fou aux innombrables festivités où l’on ressort les vieilles charrues et les produits du terroir, le désir de racines ne désarme pas.

Mais dans ce domaine, il n’y a pas que l’engouement populaire. Voici que s’amorce un courant historiographique qui s’intéresse de près à la vie de tous les jours, non seulement la vie d’hier, non seulement la vie au Moyen Age (période à la mode depuis deux ou trois décennies), mais la vie sous l’Ancien Régime. Le phénomène est d’autant plus marquant qu’il se manifeste chez des chercheurs qui s’inscrivent dans la tradition de l’Ecole des Annales, haut-lieu républicain.

On se rappelle que, dans l’entre-deux-guerres, refusant l’histoire événementielle à la Lavisse – batailles et grands hommes -, Lucien Febvre, fondateur des Annales d’histoire économique et sociale, avait privilégié une approche économique du passé. Des années 1950 aux années 1970, la génération suivante, celle des Fernand Braudel et des Georges Duby, restera imprégnée de cette vision. A la fin des années 1970, la troisième génération des Annales donnera naissance à la Nouvelle Histoire, représentée par Jacques Le Goff et Pierre Nora, école qui se dégagera de l’économisme des origines pour discerner dans les changements des mentalités un facteur capital d’explication de l’Histoire. Une quatrième génération de chercheurs est à l’œuvre. Mêlant l’histoire sociale et l’histoire culturelle, l’histoire de l’art et l’histoire des techniques, elle s’attache à reconstituer «la civilisation matérielle». Alimentation, habillement, ameublement, hygiène, travail, distractions : comment nos ancêtres vivaient-ils au jour le jour ?

«Au moyen de cette quête permanente de nouvelles sources et de nouvelles perspectives, souligne Michel Figeac, des pans entiers d’histoire, dans leurs fourmillement de détails, se sont progressivement dévoilés, et le moment est venu de faire le bilan de ces apports.»

Professeur à l’Université de Bordeaux III, celui-ci a donc dirigé un dictionnaire dont les 200 entrées couvrent la palette de la vie quotidienne sous l’Ancien Régime (1). Plus de vingt spécialistes ont collaboré à ce volume. De l’auberge à la boulangerie, du chauffage à l’éclairage, de l’évacuation des eaux aux intempéries, des lunettes aux parfums, des salines aux voitures, c’est un autre monde qui défile, riche en couleurs, en saveurs et en odeurs. Au-delà des objets, c’est l’esprit de leurs utilisateurs qui est analysé ici. Et pour le coup, on plonge dans un univers radicalement différent du nôtre : là où notre société est individualiste, l’Ancien Régime est communautaire ; là où notre temps est égalitaire, l’Ancien Régime est hiérarchique ; là où notre époque est sceptique, l’Ancien Régime est religieux.

Antoine Follain, professeur à l’université Marc Bloch de Strasbourg, a de son côté fouillé, vingt-cinq ans durant, dans les archives villageoises des XVIe et XVIIe siècles. De cette quête est né un livre érudit jusqu’à l’austérité, dans lequel l’auteur décrit l’organisation de la société, de 1450 à 1780, en scrutant le cadre d’existence de plus de 80% de la population : le village (2). Cette chronique savante s’appuie sur l’exemple de la haute Normandie, tout en le débordant largement. Des échevinages du nord de la France aux syndicats municipaux du Midi, Follain décrypte des institutions dont peu soupçonneraient l’existence dans un pays gouverné, selon le cliché tenace, par un régime absolutiste. Biens communaux, assemblées de village délibérant « indépendamment de toute autorité », conseils paroissiaux : de cet examen minutieux, mené pièces d’archives en main, il découle que le village, sous l’Ancien Régime, formait une authentique cellule politique où s’exerçait, même si le mot n’y était pas, la démocratie locale.

« On aurait bien tort de croire, écrivait déjà Tocqueville, que l’Ancien Régime fut un temps de servilité et de dépendance ; il y régnait plus de liberté que de nos jours. » La formule ne choquera que ceux qui réduisent l’Histoire à des clivages manichéens. Au-delà de la rupture de la Révolution française, incontestable, les historiens d’aujourd’hui montrent quelle part de continuité court à travers le temps : de l’Ancienne France, nous sommes aussi les héritiers.

Jean Sévillia

1) L’ancienne France au quotidien. Vie et choses de la vie sous l’Ancien Régime, sous la direction de Michel Figeac, Armand Colin, 590 p., 37 €.

2) Le village sous l’Ancien Régime, d’Antoine Follain, Fayard, 610 p., 27 €.

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