Pierre Nora, instituteur national

Le père des « Lieux de mémoire » se penche sur l’identité française.

     « Chacun le sait : il y a une altération très profonde du type de France qui nous a été léguée et dans laquelle les plus âgés d’entre nous ont été élevés. » Pierre Nora s’en défendra, mais il est difficile de ne pas relever un accent de nostalgie dans cet aveu paru, en 2010, dans la revue Le Débat. La France venait de se diviser au sujet de son identité nationale, concept controversé, et l’historien donnait sa propre analyse. Il avait plus d’un titre à le faire : toute une partie de son oeuvre, à commencer par les Lieux de mémoire, entreprise éditoriale dont il a été le père, a consisté à dresser l’inventaire des lieux, des moments et des symboles dans lesquels s’incarne la mémoire française.
     Il y a deux ans, il avait publié Historien public et Présent, nation, mémoire, deux recueils de textes par lesquels il revenait sur son propre parcours, celui d’un intellectuel libéral venu de la gauche, et sur ce qu’il nomme « la conscience historique contemporaine ». Un troisième volet était annoncé : il est consacré, celui-ci, à la France, à son identité (Nora accepte le mot) et à sa mémoire. De l’avènement de l’idée de nation sous la Révolution à l’histoire de France vue par Michelet, Lavisse (l’« instituteur national ») ou Pierre Larousse, de la pensée de Ferdinand Buisson (grand prêtre laïc dont Vincent Peillon se veut le disciple) à celle de l’Action française, mouvement (et journal) royaliste qui compta sous la IIIe République, de la comparaison avec le modèle américain au destin mêlé des Juifs français, l’auteur, à travers ces contributions, reprises, pour certaines, des Lieux de mémoire, explore le destin français.
     Le dernier chapitre met en exergue tout ce par quoi l’identité historique de la France a été ébranlée au cours des dernières décennies, spécifiquement le brouillage du rôle de l’Etat par la construction européenne et la décentralisation et l’affirmation des diverses identités régionales, religieuses ou sexuelles. Cette métamorphose pose, pour l’avenir, des questions auxquelles Pierre Nora n’a pas toujours la réponse. De là, sans doute, cette mélancolie qui rend ce livre d’histoire si sensible, et qui touchera ceux dont le parcours s’est déroulé sur l’autre rive.

Jean Sévillia

Recherches de la France, de Pierre Nora, Gallimard, 592 p., 24,50 €.

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