Péguy cent ans après

Le 5 septembre 1914, l’écrivain est mort debout, à la tête de sa section

     Le 5 septembre 1914, à 17 heures 20, le lieutenant Charles Péguy, matricule 163, classe 1893, meurt d’une balle en plein front, à Villeroy (Seine-et-Marne), lors d’une journée de combat qui a coûté au 276e régiment d’infanterie, son unité, 27 tués, 135 blessés et 300 disparus, soit plus de 20 % de pertes. A la veille de la bataille de la Marne, « miraculeuse » victoire qui stoppera la ruée allemande vers Paris, l’armée française, en tunique bleue et pantalon garance, faisait l’effrayante expérience de la guerre moderne, où « le feu tue ». L’écrivain était mort debout, à la tête de sa section, conformément au règlement. Quel sens donner à son sacrifice ? La réponse à cette question a varié selon les époques, rappelle Jean-Pierre Rioux. Dans un récit documenté et écrit d’une plume alerte (1), l’historien relate les ultimes semaines de Péguy et revient sur son évolution intellectuelle, du pacifisme au patriotisme et du républicanisme laïc au catholicisme. Analysant les utilisations abusives qui ont naguère été faites de son nom et de sa pensée, Rioux souligne que Péguy, redécouvert depuis une vingtaine d’années (l’essai consacré par Finkielkraut à ce « mécontemporain » a fait date à cet égard), reste toutefois une énigme, en un temps où l’héroïsme patriotique n’est plus en vogue.

     Philosophe, disciple de René Girard, Benoît Chantre publie une superbe méditation sur la fin de l’auteur de Notre patrie (2), montrant que celui-ci, par sa dimension littéraire, dépasse l’histoire « pour atteindre le moment où l’éternel soudain s’incarne dans le temporel ». Une perspective à laquelle Jean-Pierre Rioux ne se résigne pas, craignant qu’à vouloir laver de sa « croûte historique » un Péguy qui était un « patriote d’école primaire », on le défigure. « Consentons, observe-t-il, à regarder en face l’événement du 5 septembre 1914, entretenons cette soumission au réel qui n’a pas cessé de le tarauder. Car c’est ainsi. Péguy a fait la guerre qu’on lui avait apprise et qu’il avait voulu regarder en face. » Un point de vue de philosophe, un point de vue d’historien : cent ans après, Péguy reste parmi nous.

Jean Sévillia

1) La Mort du lieutenant Péguy, 5 septembre 1914, de Jean-Pierre Rioux, Tallandier, 272 p., 20,90 €.

2) Péguy point final, de Benoît Chantre, Le Félin, 146 p., 19 €.

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