Le vrai visage de Louis-Philippe

Trop révolutionnaire pour les royalistes, trop royaliste pour les révolutionnaires, Louis Philippe peine à trouver sa place dans l’histoire de France. Une biographie lui rend justice.

De son vivant, des caricatures de Daumier (la célèbre poire…) aux formules assassines de Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe, il avait déjà mauvaise image. La postérité a poursuivi Louis-Philippe de sa vindicte, le prenant en tenaille entre les nostalgiques du légitimisme, pour qui il était un usurpateur, les tenants du bonapartisme, qui le méprisaient comme un souverain sans gloire, et les hérauts de la République, aux yeux desquels il était un affameur du peuple. De nos jours, le personnage tendrait à être oublié.

Les historiens, pourtant, revisitent la monarchie de Juillet. L’an dernier, un universitaire anglais, Munro Price, brossait de Louis-Philippe un portrait empreint de sympathie (1), démontrant que son règne fut le moment où les institutions françaises se rapprochèrent le plus du modèle britannique. Et voici le livre d’Arnaud Teyssier. Issu de Normale sup et de l’ENA (dont il préside l’association des anciens élèves), haut fonctionnaire, professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, celui-ci s’est fait connaître, après quatre volumes d’une Histoire politique de la France, par des biographies de Lyautey et de Péguy. Il s’attache aujourd’hui à retracer l’itinéraire du «dernier roi des Français», dans des pages où l’intelligence du propos le dispute à la qualité du style : un bonheur de lecture (2).

Quand Louis-Philippe vient au monde, en 1773, Louis XV est roi de France ; quand il meurt, en 1850, Louis-Napoléon Bonaparte est président de la République et sera empereur deux ans plus tard. L’Ancien Régime, la Révolution, le Consulat, l’Empire, la Restauration, sa propre monarchie, la République et les prémices du second Empire : l’ultime capétien ayant régné sur la France a connu tous les régimes par lesquels s’est opéré le passage de l’ancienne à la nouvelle société. Chacune incarnant une part de lui-même, il fut dès lors écartelé.

Fils aîné de Louis Philippe Joseph, duc d’Orléans, et de Louise Marie Adélaïde de Bourbon-Penthièvre, Louis-Philippe descend deux fois de Louis XIII et quatre fois de Louis XIV, et il épousera une parente : ce prince est pleinement un Bourbon. Elevé avec sévérité par Mme de Genlis, baigné par l’esprit des Lumières, il accueille la Révolution avec enthousiasme, à l’instar de son père. En 1792, il prend part aux batailles de Valmy et de Jemmapes. Mais le durcissement des événements intérieurs l’inquiète : en vain, il incite son père à partir et tente de le dissuader de voter la mort de Louis XVI. Au printemps 1793, afin d’éviter l’arrestation, il passe la frontière comme Dumouriez.

Refusant de combattre contre la France, mais mal accepté par les émigrés en raison de ses idées avancées, le nouveau duc d’Orléans se réfugie successivement en Suisse, en Allemagne du Nord et en Scandinavie, puis séjourne aux Etats-Unis. De retour en Europe, il réside en Angleterre puis en Sicile, après son mariage, en 1809, avec la fille du roi de Naples : Marie-Amélie, épouse à laquelle il sera inébranlablement fidèle, lui donnera huit enfants.

Les malheurs de l’exil poussent Louis-Philippe à se rapprocher de ses cousins de la branche aînée, auxquels il donne des gages de loyauté. Ceux-ci le considèrent cependant avec suspicion, voyant en lui le fils de Philippe-Egalité, et un rival potentiel.

Lors de la Restauration, il rentre en possession des biens de sa famille, mais reçoit un accueil froid aux Tuileries. Partageant son temps entre le Palais-Royal et Neuilly, Louis-Philippe adopte un style de vie bourgeois qui n’est pas feint, veillant personnellement à l’éducation de ses fils, élèves au lycée Henri-IV. Si le duc d’Orléans répugne au complot, il fréquente des libéraux. «Il était obsédé, souligne Arnaud Teyssier, par la nécessaire adaptation de la monarchie et de ses institutions aux mœurs du temps.» Il faut avoir ce préalable en tête pour comprendre le règne de Louis-Philippe, sur lequel l’auteur s’étend longuement.

En juillet 1830, en décidant de gouverner par ordonnances, Charles X veut se débarrasser de l’opposition parlementaire : le vieux roi n’avait pas compris qu’on avait changé d’époque. Cette erreur lui coûte sa couronne et fournit sa chance à Louis- Philippe. Alors que la révolution gronde à Paris, celui-ci accepte le trône que lui présentent Laffitte, Perier et Thiers. D’abord lieutenant-général du royaume, il devient roi des Français le 7 août : «Nous sommes les derniers rois possibles en France», dit-il à sa femme.

Au cours de ses dix-huit ans de pouvoir, Louis-Philippe s’emploie à arracher la France à la guerre civile qui la guette depuis la Révolution, et à maintenir la paix extérieure. De ce dernier point de vue, sa politique, sagement pacifique, prend à rebours l’opinion publique, alors belliciste, et la conquête de l’Algérie apparaît comme un dérivatif pour une armée hantée par le mythe impérial.

Si la monarchie de Juillet forme une période d’essor économique, les fruits n’en sont pas répartis politiquement. En approuvant son ministre Guizot, qui refuse toute réforme électorale, a fortiori le suffrage universel, le roi commet à son tour une grave erreur, puisqu’il se prive d’une assise populaire. En 1848, en dépit d’incontestables réussites, le régime est balayé par l’émeute, et le monarque, victime du romantisme révolutionnaire, contraint à l’exil.

Louis-Philippe a échoué à établir une Constitution stable, remarque Arnaud Teyssier. Toutefois, méditant sur la longue durée qui va de 1789 à nos jours, l’historien observe que le souverain a échoué «comme tous ceux qui l’ont précédé et comme échoueront encore la plupart de ceux qui le suivront». Au fond, le dernier roi des Français n’est pas parvenu à terminer la Révolution. Mais termine-t-on jamais une révolution ?

Jean Sévillia

(1) Editions de Fallois, 2009.

(2) Louis-Philippe, d’Arnaud Teyssier, Perrin.

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