La guerre d’Algérie n’est pas terminée

En librairie, au cinéma, à la télévision, la guerre d’Algérie revient sans cesse. Malheureusement, l’idéologie et la passion empêchent trop souvent de comprendre ce drame.

L’année de leur naissance, l’Algérie était déjà souveraine. Ce ne sont donc pas leurs souvenirs personnels, et moins encore la nostalgie, qui ont conduit ces deux écrivains à faire de la guerre d’Algérie la toile de fond de leur dernier roman. Dans Où j’ai laissé mon âme (1), Jérôme Ferrari met en scène un capitaine et un lieutenant des services spéciaux à Alger, en 1957. Afin de faire parler leurs captifs, les deux officiers sont contraints de recourir à « la question ». L’un l’accepte comme une fatalité, l’autre non : anéanti, il s’épanche auprès d’un de ses prisonniers… Alice Ferney, de son côté, place au cœur de son huitième livre, Passé sous silence (2), la confrontation dramatique entre le général de Gaulle et le colonel Bastien-Thiry – l’auteur de l’attentat du Petit-Clamart. Pour Jérôme Ferrari et Alice Ferney, la guerre d’Algérie, c’est de l’histoire. Mesurent-ils à quel point cette histoire brûle encore ?

Que les plaies ne soient pas cicatrisées, on l’a constaté, une fois de plus lorsque, au printemps dernier, Hors-la-loi, le film du réalisateur franco-algérien Rachid Bouchareb, a déclenché une polémique avant d’avoir été projeté au Festival de Cannes. Bien que le cinéaste ait tourné avec un trio d’acteurs identique (dont Jamel Debbouze), il n’a pas renoué avec son succès de 2006, quand Indigènes – un hommage aux soldats musulmans ayant participé à la libération de la France en 1944-1945, hommage malheureusement orienté – avait été primé sur la Croisette. Cette année, en matière d’histoire algérienne, le jury du festival a préféré Des hommes et des dieux, sublime évocation du martyre des moines de Tibhirine.

Hors-la-loi sort le 22 septembre. Quel effet fera ce film alors que, le temps passant, bien peu savent ce que fut réellement la guerre d’Algérie ?

Se déroulant dans les années 1950, le scénario de Bouchareb décrit l’itinéraire, de l’Algérie à la métropole, de trois frères qui ont une revanche à prendre sur l’injustice dont furent victimes leurs parents, dans les années 1920, dépouillés d’une terre qu’ils cultivaient mais dont ils ne possédaient aucun titre de propriété. A Sétif, en 1945, une manifestation indépendantiste finit en massacre des Européens, ce qui provoque une répression extrêmement sévère (mais la façon dont cet épisode est raconté, d’emblée, n’est pas conforme à la vérité). A partir de ce moment, dans le film, les trois frères entament des destins divergents, mais qui se rejoindront un jour. Un premier part pour Paris, s’installe dans le bidonville de Nanterre, puis fait fortune à Pigalle en devenant proxénète, tenancier de boîte de nuit et organisateur de matchs de boxe. Un deuxième, l’intellectuel, rejoint son frère dans la capitale, mais il s’engage pour l’indépendance de l’Algérie et rallie le troisième frère, qui est de retour d’Indochine après avoir combattu sous l’uniforme français ; ces deux-là laisseront leur peau dans l’aventure.

Au moins sur certains points, le propos du réalisateur est-il moins apologétique qu’on ne pouvait le craindre : Bouchareb ne dissimule ni les combats fratricides entre indépendantistes algériens, ni les moyens auxquels ils ont recouru, du racket à l’assassinat. Il reste que l’intrigue d’Hors-la-loi est une fiction, mais illustre un point de vue unique sur la guerre d’Algérie : celui qui considère que, de 1954 à 1962, le pays allait inéluctablement à l’indépendance, suivant un processus conçu par un FLN qui avait toute légitimité pour exercer le pouvoir. Et c’est là que le bât blesse. Car même s’ils ne se sont pas réalisés ou s’ils ont échoué, il y eut, tout au long des événements, d’autres possibles pour l’Algérie, sans qu’il en soit question une seconde dans le film. Bouchareb argue qu’il n’est pas historien. Justement, il s’expose ici au reproche de mélanger les genres, car il n’abandonne pas la prétention de brosser une chronique de la guerre d’Algérie, alors même que sa caméra ne porte sur cette époque qu’un regard partiel et partial.

Un parti pris similaire entache Guerres secrètes du FLN en France, un documentaire de Malek Bensmail diffusé par France 2 le 23 septembre. L’action du FLN en métropole y est qualifiée de «révolution populaire transportée sur le sol du pays occupant», formule qui donne le ton… Heureusement, quelques jours plus tôt, la télévision publique aura consacré une remarquable séquence à la tragédie des harkis, avec le film d’Isabelle Clarke et de Daniel Costelle, La Blessure, programmé par France 3 le 20 septembre.

A Montpellier, enfin, les travaux vont bon train en vue de l’ouverture – prévue pour la fin de l’année 2011 – d’un musée de l’Histoire de la France en Algérie. Depuis cinq ans, le projet suscite d’interminables controverses locales : que l’idée ait été portée par l’incontrôlable Georges Frêche ne contribue pas, hélas !, à mettre de la sérénité dans le débat.

Inlassablement, l’histoire de l’union et du divorce de la France et de l’Algérie continue donc d’occuper l’espace public. De même que, des années 1980 aux années 1990, on n’a pas cessé de rouvrir le dossier de l’Occupation, la fin de l’Algérie française reste une fracture ouverte.

Dans cette guerre des mémoires, tout le monde a des oublis. Les Algériens et les anticolonialistes professionnels refusent d’avouer la part de positif de la présence française outre-mer, tout comme la stratégie de la terreur pratiquée par le FLN. En France, si l’emploi de la torture par l’armée et le drame des harkis ont été reconnus, les pieds-noirs attendent encore justice. Mais eux-mêmes peinent à admettre que la question du double statut des populations européenne et musulmane avait tout d’une équation insoluble, et que le déséquilibre démographique rendait leur position fragile…

Pour l’Algérie, quand viendra enfin le temps de l’histoire ?

Jean Sévillia

(1) et (2), Actes Sud.

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