Le testament d’un lieutenant français

Dans son dernier livre, Andreï Makine se demande qui s’intéresse à l’héroïsme patriotique aujourd’hui.

     En 2006, Andreï Makine, prix Goncourt 1995 pour Le Testament français, publie Cette France qu’on oublie d’aimer, un essai qui, chez cet auteur né russe et devenu français, résonne comme un cri d’amour envers son nouveau pays, au risque de heurter le politiquement correct dans les pages consacrées aux émeutes des banlieues de l’automne 2005. Peu après, l’écrivain reçoit une lettre d’un lecteur qui lui exprime sa communion d’idées et se propose de lui rapporter des détails sur deux officiers français qui sont cités dans le livre et qu’il a connus pendant la guerre. Cet homme, c’est Jean-Claude Servan-Schreiber, 88 ans alors, médaillé militaire en 1940, résistant et commandeur de la Légion d’honneur à titre militaire pour sa participation à la campagne d’Allemagne de 1944-1945. Ce même Servan-Schreiber a fait carrière dans la presse et à la télévision, au temps des Trente Glorieuses, et s’était brouillé avec son cousin Jean-Jacques (JJSS) parce que, contrairement au directeur de L’Express, il était gaulliste, étiquette sous laquelle il siégea à l’Assemblée nationale. Mais cette partie de sa vie, pourtant la plus longue, n’intéresse pas particulièrement Makine. Ce que ce dernier recherche chez celui avec qui il noue amitié, par-delà les ans, c’est le lieutenant Schreiber, celui qui, petit-fils d’un juif prussien émigré, prend tous les risques, pendant la guerre, pour servir une patrie qu’il aime passionnément, et qui, au début du XXIe siècle, souffre de voir la réalité d’une époque si complexe et ses sentiments d’alors devenir étrangers à ses compatriotes.
     Ce livre n’est pas un roman – rien n’y est fictif -, mais il n’est pas non plus un livre d’histoire. A travers le magnifique portrait qu’il brosse d’un homme au soir de sa vie, à travers le récit de son héroïque jeunesse, à travers aussi l’évocation de l’échec du livre de souvenirs publié en 2010 par Jean-Claude Servan-Schreiber, Andreï Makine, entre révolte et mélancolie, interroge notre société : « J’ai appris à quel point, écrit-il, dans le monde d’aujourd’hui, cette voix française pouvait être censurée, étouffée. » L’accueil que la critique va réserver à ce livre sera lui-même un symptôme intéressant à analyser.

Jean Sévillia

Le Pays du lieutenant Schreiber, d’Andreï Makine, Grasset, 222 p., 17 €.

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