La guerre d’Algérie blesse encore

Plusieurs livres paraissent sur la guerre d’Algérie. Mais après un demi-siècle, entre les préjugés de tous bords et les passions mal éteintes, la vérité sur ce drame tarde à se faire jour.

Il y a dix ans, le 5 octobre 1999, le Parlement français reconnaissait l’existence d’un « état de guerre » en Algérie de 1954 à 1962. Il était temps, pour des événements qui avaient provoqué, tous camps confondus, 300 000 morts… Mais les années passant et la vulgate médiatique faisant son œuvre, qui sait encore que la guerre d’Algérie ne fut pas un affrontement entre les bons (les Algériens voulant accéder à l’indépendance) et les méchants (les colonialistes et l’armée française qui voulaient les en empêcher), mais une confrontation aux enjeux multiples, à la fois politiques, militaires, économiques, sociaux et culturels ?

Le 1er novembre 1954, quand une vague d’attentats secoue le territoire algérien, le pays forme trois départements français. Toute la classe politique, de la gauche à la droite, juge légitime de combattre l’insurrection déclenchée par le FLN : « L’Algérie, c’est la France », proclame le ministre de l’Intérieur, un certain François Mitterrand. C’est donc la IVe République qui affronte le problème algérien, héritant de l’impéritie des régimes précédents qui n’avaient pas su régler – mais était-ce possible ? – la question du double statut des musulmans et des Européens. Face à l’extension de la rébellion, le chef du gouvernement, le socialiste Guy Mollet, fait appel au contingent. L’armée française, le plus légalement du monde, se voit chargée à la fois de la pacification du pays et de l’intégration des populations rurales, ce qui recouvre des tâches qui, en métropole, appartiennent à l’autorité civile. Sur le terrain, entre 1957 (bataille d’Alger) et 1959-1960 (plan Challe), les militaires reprennent le contrôle de la situation. Deux ans plus tard, l’Algérie sera néanmoins indépendante.

En mai 1958, de Gaulle revient à la tête du gouvernement, grâce aux partisans de l’Algérie française. Le 4 juin, à Alger, il lâche sa célèbre phrase : « Je vous ai compris. » Le 16 septembre 1959, alors qu’il est chef de l’Etat depuis neuf mois, il proclame le droit des Algériens à l’autodétermination. Cette prise de position tient-elle aux circonstances ou procède-t-elle d’une décision antérieure à son accession au pouvoir ? La question divise les historiens. Benjamin Stora, dans un livre qui n’apporte rien de neuf mais qui a le mérite d’examiner les thèses en présence, souligne avec justesse que « le 16 septembre 1959 est l’événement politique majeur du conflit algérien (1) » . Car de là découle la suite : les négociations, les accords d’Evian, l’indépendance.

Quadrature du cercle : pour écrire une véritable histoire de la guerre d’Algérie, il faudra que les passions s’éteignent ; or celles-ci ne s’éteindront pas tant qu’il y aura des témoins d’une affaire qui a laissé trop de souffrances derrière elle, mais témoins dont les contributions serviront à écrire l’histoire… Pourtant, même chez les analystes les plus prévenus contre l’Algérie française, des éléments de vérité surgissent qui, il y a dix ou vingt ans encore, étaient méprisés, parce qu’ils allaient à l’encontre du rêve progressiste de 1962, qui voulait que la République algérienne devînt le paradigme d’une société nouvelle, fondée sur la justice.

Jean-Luc Einaudi éclaire ainsi le conflit meurtrier qui opposa le FLN à ses rivaux du MNA de Messali Hadj, rappelant que la guerre d’Algérie, en métropole comme de l’autre côté de la Méditerranée, fut aussi une guerre menée par des Algériens contre d’autres Algériens (2). Un ouvrage collectif dirigé par Raphaëlle Branche, spécialiste de la mise en accusation de l’armée française, ne dissimule pas les méthodes terroristes du FLN ou le massacre des harkis (3). Catherine Simon raconte l’aveuglement et le désenchantement des « pieds-rouges », ces intellectuels de gauche qui, de 1962 à 1969, allèrent aider l’Algérie nouvelle puis la quittèrent discrètement, effrayés par la violence, la corruption et le machisme qui y régnaient (4). Il faut saluer l’album publié sous l’égide de Patrick Buisson, le directeur de la chaîne Histoire, et préfacé par Michel Déon (5). Dans ce volume, les images (celles du livre, comme celles du DVD qui l’accompagne) ont l’avantage de faire revivre des pages occultées de cette guerre : ainsi le travail des SAS, ces unités militaires formées pour fournir des services sanitaires, sociaux et éducatifs aux habitants du bled, ou les incroyables moments de fraternisation franco-musulmane du 13 mai 1958.

Les textes, eux, ont le mérite de la remise en perspective historique. Tous les pays européens quittaient tour à tour leurs colonies, à l’époque, et l’Afrique noire accédait à l’indépendance. Le Maroc et la Tunisie avaient rejeté la tutelle française. Comment l’Algérie aurait-elle pu rester sous le drapeau tricolore ? « Il convient d’admettre, écrit Buisson dans sa postface, que les possibles de l’Algérie étaient en nombre réduit. » Si l’accession de l’Algérie à l’indépendance était inéluctable, devait-elle fatalement survenir dans le sang et la tragédie ? C’est cela, la vraie réponse que l’on attend des historiens.

Jean Sévillia

(1) Le Mystère de Gaulle, son choix pour l’Algérie, de Benjamin Stora, Robert Laffont. (2) Scènes de la guerre d’Algérie en France, automne 1961, de Jean-Luc Einaudi, Le Cherche Midi. (3) La Guerre d’indépendance des Algériens, 1954-1962, présenté par Raphaëlle Branche, Perrin, « Tempus ». (4) Algérie, les années pieds-rouges, de Catherine Simon, La Découverte. (5) La Guerre d’Algérie, de Patrick Buisson, préface de Michel Déon, Albin Michel, en partenariat avec la chaîne Histoire, l’ECPAD et la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives. Cet album est vendu avec un DVD réalisé à partir des images du capitaine Flament et des reporters du service cinématographique des armées.

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