La France au coeur

L’académicien Max Gallo publie un récit où il raconte l’histoire des premiers Capétiens : Philippe Auguste, Saint Louis et Philippe le Bel. Au même moment, le prince Jean d’Orléans, duc de Vendôme, fait paraître un livre où il expose ses idées sur notre société. Nous avons fait dialoguer l’écrivain républicain et l’héritier des rois de France.

Le Figaro Magazine – Max Gallo, pourquoi cet intérêt pour les premiers rois capétiens ?

Max Gallo – Parce que ce sont des fondateurs. En ce qui concerne Philippe Auguste, nous savons quel rôle a joué la bataille de Bouvines dans la construction de la nation. Saint Louis, sa sainteté en fait un cas particulier dans l’histoire de France. Quant à Philippe le Bel, il a renforcé et élargi le domaine royal, semence de l’unité nationale. Comme historien, comme écrivain, mais aussi comme citoyen, il m’apparaissait indispensable de creuser ce sillon.

Héritier des rois de France, quel regard jetez-vous sur vos ancêtres ?

Jean de France – L’époque des premiers Capétiens est celle où le sentiment national commence à surgir. Bouvines met un coup d’arrêt à l’ambition des Plantagenêt sur la France ; Saint Louis se dote d’une armée qui lui permet de traiter d’égal à égal avec ses vassaux ; Philippe le Bel organise le royaume. Avec les Capétiens, contrairement aux Carolingiens, le royaume n’est plus divisé, le pouvoir est transmis. L’action politique ne tourne pas autour d’un individu, mais d’une famille, attirant de grands serviteurs, de Joinville aux légistes de Philippe le Bel. Ce n’est pas un empire, ce n’est pas une communauté suprana tionale, c’est le royaume de France qui prend forme. Un royaume très humain, avec son triptyque étroit entre le prince, l’Eglise et le peuple.

Quelles ont été les caractéris tiques communes à ces souverains ?

Max Gallo – Leur qualité principale, c’est que leur règne transcende la quotidienneté de la vie politique : ils sont mus par un devoir à l’égard de leur lignée, mais aussi à l’égard du royaume. Si je franchis les siècles, un des aspects qui m’a le plus étonné, quand j’ai écrit sur Louis XIV, c’est d’avoir découvert qu’en 1709, le roi s’est adressé à ses sujets, leur expliquant sa politique extérieure. Dans la monarchie française, on trouve ce rapport au peuple. Il faut cependant souligner, pour le monarque, la difficulté d’assumer les deux facettes de sa fonction. D’un côté, le sacre de Reims le situe dans un lien privilégié avec Dieu. De l’autre, sa situation l’implique dans le gouvernement des hommes. Cette contradiction, au début de la Révolution, explique l’impuissance de Louis XVI, déchiré entre sa lucidité face aux événements et ses sentiments de posséder des devoirs d’une autre nature, qu’il tient de l’onction du sacre.

Jean de France – Ces princes ont été les vecteurs de principes appartenant à tous les Français. Notamment l’impératif d’indépendance, vis-à-vis de l’étranger ou vis-à-vis du pape, à une époque où la papauté était une puissance temporelle. Les rois ont eu la volonté de servir l’intérêt général, de faire en sorte que l’Etat échappe aux intérêts particuliers.

Max Gallo – Le traité de Troyes qui, en 1420, déshéritait le Dauphin au profit du roi d’Angleterre fait néanmoins partie de notre histoire. Il a sans doute été signé à la faveur de la folie de Charles VI, mais la tentation de la soumission à l’étranger se rencontre aussi chez les Français, même si cette tentation, à l’intérieur de la lignée capétienne, trouvera une résistance qui sera celle de Charles VII et de Jeanne d’Arc. En vérité, la dualité entre un parti français et un parti de l’étranger court à travers notre histoire. A cet égard, j’ai été frappé, en lisant votre livre, du peu de place que vous accordez à de Gaulle…

Jean de France – Certains sujets sont encore trop passionnels pour pouvoir être traités avec recul…

Max Gallo – Pour moi, de Gaulle est celui qui a réussi à élaborer un compromis entre la centralisation de type monarchique, avec un exécutif fort, et l’acquis indiscutable du suffrage uni versel et du parlementarisme. Certains ont défini la Ve République comme une monarchie républicaine.

Quel jugement portez-vous sur la Révolution française ?

Jean de France – L’Angleterre a également connu sa révolution, en ôtant le pouvoir à la monarchie, mais les Anglais sont restés pragmatiques. Avec notre Révolution, nous sommes passés du monde de la pensée ancrée dans le concret au monde de la théorie. L’équilibre entre le pouvoir, l’Eglise et le peuple a été rompu, ouvrant l’espace public à ce que j’appellerais les grandes gueules et les gros bras, au détriment de l’intérêt général. Liberté, égalité et fraternité, ce sont des idées tirées de notre passé chrétien. Mais la Révolution les a déconnectées du réel. La France, c’est une cathédrale qui monte vers le ciel. J’ai l’impression que la Révolution a voulu casser cela. Il aurait pu y avoir un nouveau contrat, pourtant, une relation différente entre le roi et le peuple, si nécessaire quand on pense que Louis XVI, au cours de son règne, n’a fait qu’un déplacement en province. Avec de Gaulle, au demeurant, on reviendra à une conception plus enracinée du politique.

Max Gallo – Il ne faut pas uniquement considérer la Révolution française comme une rupture. Elle est également un creuset dans lequel se déverse tout l’héritage monarchique. On ne peut pas comprendre pourquoi nous avons voulu être le modèle universel du républicanisme si on oublie que la France était la fille aînée de l’Eglise. Je suis un disciple de Marc Bloch, qui disait qu’il y a deux catégories de Français qui ne comprendront jamais rien à l’histoire de leur pays, ce sont ceux qui ne vibrent pas au sacre de Reims et ceux qui ne sont pas émus par la Fête de la Fédération. En réalité, la rupture avec le peuple, que vous mentionnez, provient de la diffi culté que des souverains lucides ont éprouvée pour réformer le système gouvernemental. Louis XVI a été entravé par le manque de ressources de l’Etat. Afin de trouver de l’argent, la monarchie a vendu des parcelles de pouvoir aux officiers, aux parlementaires, et ceux-ci se sont ensuite dressés contre le pouvoir royal. La volonté de réforme se heurtant aux privilèges, c’est malheureusement un trait national.

Aujourd’hui, comment se manifeste la crise de l’identité française ?

Jean de France – Il y a une méconnaissance de ce que nous sommes en profondeur. Nous souffrons d’un manque de vision. On le voit avec cette présidence : il y a beaucoup de bonnes idées, mais elles sont mises en vrac, exécutées à toute allure. Personne ne sait d’où nous venons, personne ne sait où nous allons. Par rapport à l’Europe qui se construit, par exemple, on ne sait plus ce que la France peut apporter. Dans un contexte de mondialisation, autre exemple, constater que des universités de l’Inde affichent un meilleur niveau que certaines de nos grandes écoles devrait nous faire réfléchir. Cela supposerait des remises en cause. Pour cela, l’état d’esprit doit changer. Est-ce que nous pouvons nous placer dans une perspective d’intérêt général par rapport aux intérêts particuliers ?

Max Gallo – Nous vivons une crise nationale de longue durée. Ses origines remontent à la guerre de 14-18, qui a été une victoire, mais une victoire à la Pyrrhus. La crise a commencé à ce moment-là, une crise très profonde qui interroge sur la validité du concept de nation, et qui a débouché sur la conjonction des internationalismes et de l’idée que l’économie, désormais, a le pouvoir général. Sommes-nous sortis de l’illusion que la nation est une forme politique obsolète ? Je suis moins pessimiste que vous, dans la mesure où nous assistons, depuis la chute du Mur, à un regain de l’idée nationale. Quant à la présidence actuelle, je crois qu’elle a pris acte de cette réalité. S’il y a des difficultés d’intégration, c’est précisément parce que le discours national n’est plus tenu : le nouvel arrivant a le sentiment que la nation commence avec lui. Il y a là une lourde responsabilité des élites.

Les origines de la France sont liées au christianisme. Qu’en reste-t-il ?

Max Gallo – D’abord un patrimoine. Voir la Sainte-Chapelle ! Au-delà, dans notre société laïque, le rapport de l’Etat à la chrétienté a évidemment changé, mais cela ne concerne pas que la France ; c’est le rapport à la religion, en général, qui s’est modifié. Tout en constatant la présence d’une autre religion sur le sol français, nous avons cependant à tenir compte de notre origine chrétienne. Ce n’est pas contradictoire avec l’idée nationale.

Jean de France – Quand Benoît XVI a prononcé son discours devant le monde de la culture, au collège des Bernardins, les intel lectuels étaient représentés, les politiques, la société civile, les associations, mais aussi toutes les confessions. En un lieu symbolique du patrimoine français, le christianisme a pu ainsi poser des questions concernant tous les hommes. Par ailleurs, fai sant partie de la génération Jean-Paul II, je sais combien de jeunes ou de moins jeunes, marqués par son exemple et par celui de son successeur, sont engagés en tant que chrétiens dans la société d’aujourd’hui. La présence chrétienne, en France, n’est donc pas un vestige : elle est un ferment.

Max Gallo, quelle place accordez-vous à la mémoire de la monarchie française ?

Max Gallo – Si je suis rigoureusement républicain, je n’ai jamais pensé que la France avait commencé avec la République. Je vois les limites et les failles de la tradition monarchique, mais elle fait partie du patrimoine national au sens le plus fort. Un prince qui se revendique comme « un prince français » me paraît donc tout à fait légitime : il ne fait qu’assumer un héritage dont il a toutes les raisons d’être le gardien.

Quel jugement porte un prince sur un écrivain républicain qui fait revivre les rois de France ?

Jean de France – Un écrivain comme Max Gallo permet à des personnes de toutes origines de découvrir la longue histoire de notre pays. Aujourd’hui, c’est ce dont nous avons besoin : aimer la France, et faire partager cet amour.

Propos recueuillis par Jean Sévillia

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