Henri IV, un mythe français

La France célèbre le quatrième centenaire de la mort d’Henri IV. Chef de guerre mais aussi restaurateur de la paix civile, roi très chrétien mais aussi grand coureur de femmes, prince du sang mais aussi campagnard dans l’âme, ce souverain possédait mille facettes. S’il reste le plus populaire de nos rois, c’est que les Français se reconnaissent en lui.

Le 14 mai 1610, Henri IV mourait sous le poignard de Ravaillac. Quatre cents ans plus tard, on aurait dû invoquer sa mémoire en organisant un débat sur l’identité nationale : quoi de plus français que celui que naguère, dans les écoles de la République, les manuels surnommaient le Bon Roi ?

Les grands hommes dont les mots sont inscrits dans la mémoire collective ne sont pas nombreux. De «Ralliez-vous à mon panache blanc» à «Paris vaut bien une messe», en passant par

«La poule au pot tous les dimanches», Henri IV est le père de formules plus ou moins apocryphes, mais entrées dans le langage courant. Avec sa barbe et sa fraise, son profil reste familier, et continue d’orner les étiquettes du vin de Jurançon que l’on produit dans son pays. Les images d’Epinal des tablettes de chocolat de jadis ne sont pas non plus oubliées : Henri IV jouant à quatre pattes avec ses enfants, ou visitant quelque chaumière en compagnie de Sully. Et tous les Français, peuple qui chante spontanément faux, connaissent une bribe de ce très vieux refrain : «Vive Henri IV, vive ce roi vaillant…»

Clichés ? Bien sûr, et les historiens font la part des choses. Mais si Henri IV a pris place, dès sa mort, au cœur de l’imaginaire français, et y est resté, ce n’est pas un hasard. Les mythes perdurent dès lors qu’ils rendent service à une société. Or Henri IV est un mythe, que chaque époque façonne à sa guise, l’adaptant aux couleurs du temps. Sous Louis XIV, à l’apogée du classicisme, le Béarnais incarne la figure de l’honnête homme. Sous la Régence, il devient un libertin. Voltaire, qui a écrit un long poème en son honneur, La Henriade, le voit comme un apôtre de la tolérance, et l’Encyclopédie l’évoque comme un despote éclairé avant la lettre. Napoléon le cite en exemple de chef de guerre, le romantisme loue en lui le modèle du bon monarque, tandis que le XIXe siècle républicain magnifie sa proximité avec le peuple. Et de nos jours, dans une société mêlée, Henri IV est célébré comme un précurseur du « vivre ensemble ».

L’exploitation de son personnage vaut à Henri IV, post mortem, d’être une figure consensuelle, alors que ses contemporains ne le comprirent pas toujours, et acceptèrent encore moins sa politique. Mais c’est cela, sans doute, une légende nationale : n’est-ce pas le cas de De Gaulle ?

Le mythe Henri IV, en outre, se nourrit des traits de sa personnalité ou de son action qui apparaissent, à tort ou à raison, comme inhérents au caractère français. En premier lieu sa réputation de bon vivant. Lui à qui, au jour de son baptême, on avait frotté les lèvres d’un peu d’ail et de vin, et qui voulait que tous ses sujets mangent de la viande le dimanche, passe pour un héros de la table, art national s’il en est. Avec son accent à couper au couteau et son odeur forte, l’homme était un campagnard des Pyrénées : français, si français.

Après la chère, la chair. Marié deux fois, Henri IV ignorait allègrement toute forme de fidélité conjugale. Des érudits se sont essayés à recenser ses maîtresses, dont le nombre se compte par dizaines. L’appétit de ce séducteur était inlassable, au point qu’on lui prête ce mot, un de plus, à propos de son instrument viril : «Jusqu’à 40ans, j’ai cru que c’était un os»… Cette gaillardise, qui aurait choqué dans un pays puritain, a toujours fait rire en France, où les catholiques d’Ancien Régime étaient indulgents envers la bagatelle. «On peut se demander, souligne Jean-Marie Constant, si les Français de l’époque n’étaient pas rassurés lorsqu’ils voyaient leur souverain multiplier ses descendants et engendrer autant d’enfants. Ne le regardaient-ils pas alors comme une sorte de dieu de la fécondité?». Le même historien, soulignant que la popularité d’Henri IV transcende les siècles, livre cette observation : «Présentée comme débridée, la sexualité du Vert-Galant permet toutes les identifications, les rêves les plus fous et l’accomplissement de tous les fantasmes» *.

Baptisé dans la religion catholique, puis élevé dans le calvinisme par sa mère, Henri de Navarre est conduit une première fois au catholicisme par son père. Sa mère le ramène ensuite à la Réforme. Peu après la disparition de celle-ci, il abjure le calvinisme. Plus tard, le royaume se déchirant, il renie le catholicisme et prend la tête des troupes protestantes. A la mort d’Henri III, devenu roi de France, il abjure une dernière fois le protestantisme. Duplicité ? Réalisme politique ? La question divise les spécialistes, qui attestent néanmoins de la sincérité et de la profondeur de la foi chrétienne du monarque. Il reste qu’en son temps les calvinistes intransigeants se sont sentis trahis deux fois et que les catholiques ultras n’ont jamais été persuadés de la sincérité de sa conversion. Mais c’est que, dans son approche raisonnée de la religion, le roi manifeste une tendance qui tient à la France, nation de racines, de traditions et de convictions chrétiennes, mais réticente devant tout fanatisme.

L’interprétation que l’on opère aujourd’hui de l’édit de Nantes – un acte de tolérance religieuse – est anachronique : à l’époque d’Henri IV, ce concept n’existait pas. Pour autant, en organisant la paix armée entre les deux religions, ce grand acte politique a instauré la coexistence entre elles, faisant prévaloir, au-delà des appartenances spirituelles, une communauté temporelle qu’on appellera plus tard la nation. Justement, après s’être converti, Henri IV déclarait ceci : «Je veux que ceux de la Religion vivent en paix en mon royaume, non pas pour ce qu’ils sont de la Religion, mais d’autant qu’ils ont été fidèles serviteurs à moi et à la couronne de France.» Ajoutant, principe capital : «Nous sommes tous français et concitoyens d’une même patrie.»

Toute l’œuvre politique d’Henri IV, mettant un terme à la dislocation sociale provoquée par la guerre civile et les affrontements religieux, va consister à bâtir l’Etat moderne, dont la fonction collective transcende les intérêts particuliers. La nation au-dessus des partis : encore une idée française.

Jean Sévillia

<* Jean-Marie Constant, Henri IV, roi d’aventure, Perrin.

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