Churchill : sa vie fut une bataille

Ses Mémoires de guerre sont réédités, en même temps que de nombreux autres textes. Le parcours de Winston Churchill, entré dans la gloire en 1945, couvre presque un siècle.

Cigare, chapeau melon, nœud papillon, main levée dessinant le V de la victoire : Churchill, c’est plus qu’une image, c’est un emblème. Celui de la résistance britannique à l’Allemagne nazie, résistance inaugurée par une formule : « Je n’ai rien à offrir que du sang, du travail, de la sueur et des larmes. » Les Mémoires du leader anglais, parus en six volumes de 1948 à 1954, avaient été traduits en onze langues, à la mesure du succès de l’entreprise, à la va-vite : l’édition française contenait de nombreuses erreurs. La version abrégée, datée de 1959, n’avait jamais été publiée en France. La voici (1), traduite, présentée et annotée par François Kersaudy, historien dont on réédite, revue et augmentée, une biographie de Churchill écrite il y a dix ans (2). Un ouvrage qui permet de sortir des clichés, et de rappeler que les années de guerre ne constituent qu’une partie de la carrière d’un homme qui, en 1965, mourra nonagénaire.

Né en 1874, sir Winston Leonard Spencer Churchill est issu, du côté paternel, de la lignée aristocratique des Marlborough et, du côté maternel, d’une famille de millionnaires américains. Ses parents se trompent mutuellement, et s’occupent peu de lui. Elève médiocre, il a du mal à intégrer l’école de Sandhurst – le Saint-Cyr britannique -, mais finit officier au 4e hussards. Années de jeunesse, années où sir Winston s’illustre soit comme combattant (faisant preuve d’un rare courage physique), soit comme correspondant de guerre, dans des conflits qui nous paraissent doublement exotiques. Entre 1895 et 1900, on le voit à Cuba, aux Indes, au Soudan (où il participe à la dernière charge de cavalerie britannique) et en Afrique du Sud. Fait prisonnier pendant la guerre des Boers, il s’évade et revient en Grande-Bretagne, accueilli en héros national. En 1900, ayant quitté l’armée pour la politique, il est élu député conservateur puis rejoint le parti libéral. A partir de 1905, il siège au gouvernement. La crise franco-allemande d’Agadir (1911) l’éclaire sur les périls qui montent : devenu Premier lord de l’Amirauté, il prépare un conflit inéluctable. En 1915, n’étant plus ministre, il sert sur le front français avec le grade de colonel. Retourné en Angleterre, il retrouve un portefeuille. Réélu en 1924, il rallie cette fois le parti conservateur, et devient chancelier de l’Echiquier dans le cabinet Baldwin. En 1929, à la suite de la défaite des conservateurs, il est à nouveau écarté du pouvoir. Sa traversée du désert durera près de dix ans.

A partir de 1932, Churchill met en garde contre le relèvement allemand. En 1938, lors de la crise tchèque, il condamne les accords de Munich. En 1939, au lendemain de la déclaration de guerre, cette fermeté lui vaut d’être nommé Premier lord de l’Amirauté. Le 10 mai 1940, quand la Wehrmacht lance l’offensive à l’ouest, Chamberlain, dont la politique temporisatrice a échoué, s’efface. Churchill prend la direction d’un cabinet de coalition, déterminé à conduire la guerre jusqu’au bout.

C’est alors qu’il entre dans la légende, une légende dont il n’est pas sorti. Durant la bataille d’Angleterre et le blitz, il galvanise la résistance de son pays, ne doutant pas que l’Amérique finira par entrer en guerre. Il rencontre Roosevelt à plusieurs reprises, mettant au point la charte de l’Atlantique, signée le 14 août 1941. Farouchement anticommuniste, Churchill n’a pas hésité à s’allier avec l’URSS quand celle-ci a été attaquée par le Reich. A la différence du président américain, cependant, le Premier ministre anglais ne fait preuve d’aucune naïveté devant Staline, s’efforçant de limiter les appétits soviétiques en direction de l’Europe de l’Est ou de la Méditerranée. Autre différend avec Roosevelt, il soutient de Gaulle, avec qui il entretient toutefois des relations orageuses, comme il convient entre deux personnalités fortes.

Le 7 mai 1945, Churchill annonce que l’Allemagne a capitulé, et qu’un cessez-le-feu définitif entrera en vigueur dans la nuit. A Whitehall, devant une foule immense, il proclame : « Ceci est votre victoire » ; à quoi une clameur lui répond : « Non, c’est la vôtre. » Quelques mois plus tard, le même peuple le renverra dans l’opposition. Il retrouvera le pouvoir pendant quatre ans, au début des années 1950, avant d’achever son parcours en se consacrant à l’écriture (3) – le prix Nobel de littérature lui sera décerné en 1953 – et à la peinture, et sans renoncer à ses havanes et au whisky.

« La réussite du personnage est attribuable au moins autant à ses défauts qu’à ses qualités », souligne François Kersaudy, qui ne dissimule pas l’autre face de Churchill : impulsivité, amateurisme stratégique, narcissisme démesuré. Le désastre de l’expédition des Dardanelles, conçue par lui en 1915, sa sympathie maintenue pour Mussolini jusqu’à la guerre, le sacrifice de la flotte française de Mers-el-Kébir, en 1940, celui de la résistance royaliste yougoslave (Mihailovic) opposée au communiste Tito, en 1942, le bombardement de Dresde de mai 1945, ville qui n’abritait qu’une population civile dans une Allemagne déjà écrasée, ce sont les revers de la médaille Churchill. L’Histoire, il est vrai, a de tous temps été tragique. De Gaulle disait de son homologue anglais qu’il fut « le grand artiste d’une grande Histoire ».

Jean Sévillia

1) Mémoires de guerre, 1919-1941, de Winston Churchill, Tallandier. 2) Winston Churchill, de François Kersaudy, Tallandier. 3) La collection « Texto » des Editions Tallandier publie de nombreux textes datant de la jeunesse ou de la maturité de Churchill : Mes jeunes années, Réflexions et aventures, Discours de guerre, Mon voyage en Afrique, Journal politique, 1936-1939.

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