Au cinéma aussi, il arrive que le diable porte pierre. Depuis le mois d’août, des affiches annoncent la sortie d’Indigènes (*). Bien qu’il eût été financé à 90 % par la France, le film – œuvre du franco-algérien Rachid Bouchareb – représentait l’Algérie au Festival de Cannes. Le scénario raconte l’épopée d’Algériens engagés dans l’armée française en 1943, groupe dont la geste se poursuit jusqu’à la libération de l’Alsace en 1945. Si le film se veut un hommage aux Maghrébins et aux Africains qui ont contribué à la victoire contre l’Allemagne nazie, il s’agit d’un hommage selon l’air du temps : anticolonialiste, antiraciste et antifasciste. Lors du tournage, Jamel Debbouze avait donné le ton : « C’est l’histoire de tirailleurs nord-africains qui se sont battus pour la mère patrie, mais qui, le jour de la victoire, en 1945, n’ont pas eu le droit de défiler sur les Champs-Elysées car ils étaient noirs ou arabes. »
C’est ici que l’affaire se pimente. Deux historiens viennent de publier un album consacré aux troupes coloniales (**). Les documents font ressortir la considération dont jouissaient ces régiments après la Libération de la France ; on y voit notamment des tirailleurs sénégalais défiler sur les Champs-Elysées le 18 juin 1945… A Cannes, le film a obtenu le prix d’interprétation masculine. Ce qui nous a valu cette scène d’anthologie : les acteurs entonnant fièrement, devant le parterre très gauche caviar du Palais des Festivals, le Chant des Africains. Savaient-ils, les inconscients, que ce fut l’hymne de l’Algérie française ? L’affiche du film montre un soldat brandissant un drapeau. Aucun doute, il n’est ni vert, ni black-blanc-beur : il est tricolore.
Chassez l’Histoire, elle revient au galop. Tant pis pour les idéologues.
Jean Sévillia
* Au cinéma le 27 septembre.
** Eric Deroo et Antoine Champeaux, La Force noire, Tallandier.