Cécile Duflot en vert et contre tous

Elle ne compte plus ses ennemis, jusqu’au sein de son parti, où elle va tenter de faire élire ce week-end la candidate de son choix pour diriger les Verts. Portrait d’une femme de pouvoir dont François Hollande a besoin.

     Ce week-end, une fois de plus, elle sera à la manoeuvre. En sous-main. Car au congrès fédéral d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) qui se tiendra à Caen, le 30 novembre, Cécile Duflot, qui a dirigé le parti écologiste pendant six ans, de 2006 à 2012, et qui a obtenu que l’actuel secrétaire national, Pascal Durand, ne se représente pas, veut obtenir la victoire de sa candidate : la vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France, Emmanuelle Cosse. Ancienne de la Fidl, le mouvement lycéen fondé par SOS Racisme, et ex-présidente d’Act Up, cette dernière garantira l’orthodoxie idéologique des Verts.
     Les Verts ? Ils sont de gauche, mais Manuel Valls n’est pas leur ami. Ils sont français, mais n’aiment pas les frontières. Ils vénèrent la nature, mais pas les agriculteurs. Ils sont laïcs, mais sévères avec les cathos et indulgents avec les musulmans. Ils sont féministes, mais méprisent les mères au foyer. Ils se méfient des uniformes, mais en portent un : anorak, jean, tee-shirt, gros pull, cheveux hirsutes. Il y a deux semaines, dans chaque région, les militants ont voté pour l’une des sept listes qui se disputent la direction du parti écologiste. Mais, témoignant du désenchantement qui a saisi toute la gauche, seule la moitié des adhérents a participé au scrutin. « Pour un cap écologiste », la motion emmenée par Emmanuelle Cosse et soutenue par Cécile Duflot et Pascal Canfin, les deux ministres Verts, par Jean-Vincent Placé, le patron des sénateurs écologistes, et par Pascal Durand, le secrétaire national sortant, est arrivée en tête, mais avec 38,29 % des voix seulement. Pour constituer une majorité lors de ce congrès de Caen, des combinaisons d’appareil sont à prévoir.
     Cécile Duflot entend garder le contrôle d’une formation qui est sa garantie de survie politique, et grâce à laquelle elle détient aujourd’hui un portefeuille ministériel, elle qui est partie de rien, politiquement, au début des années 2000. Rien n’est gagné, mais le principal atout de la ministre reste qu’au sein des Verts, aucun courant ne réclame vraiment de quitter le gouvernement. Quant à la démission fracassante d’EE-LV de Noël Mamère, en septembre, le député-maire de Bègles accusant « la Firme » (Duflot-Placé) de s’être emparée du parti, de quoi s’agissait-il ? « D’une crise d’ego » affirme – sous condition d’anonymat – un député écologiste.
     Née en 1975, Cécile Duflot est la fille d’un cheminot syndiqué, antimilitariste au point de lui interdire d’être majorette, ce qui était son rêve. Sa mère, professeur de physique-chimie en ZEP, est catholique façon années 70 : Cécile est baptisée dans une piscine et en chansons. La famille (trois enfants) est de gauche mais n’appartient à aucun parti, considérant la politique d’un oeil soupçonneux. On vit à Montereau (Seine-et-Marne), on prend le train, l’été, pour aller faire du camping à la montagne, et on limite les achats au strict nécessaire.
     A 16 ans, sous l’influence de sa mère, Cécile s’inscrit à la Ligue pour la protection des oiseaux, puis à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), mouvement qui juge Jean-Paul II trop anticommuniste et trop conservateur. Bachelière à 17 ans, la jeune fille quitte le domicile parental et s’installe dans une cabane au fond du jardin de son grand-père, à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Etudiante en géographie à Jussieu (Paris-VII), elle enchaîne les petits boulots pour payer ses études, tout en militant au Genepi (Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées), au sein duquel elle est chargée d’écrire les lettres des prisonniers. C’est là qu’elle rencontre celui qui va devenir son mari.
     A l’issue de son DEA de géographie, décroché à 21 ans, elle passe le concours d’entrée à l’Essec, l’obtient, et intègre l’école en travaillant en alternance dans une PME qui se consacre au logement social. Jusqu’à ce qu’elle fasse de la politique à plein temps, ce secteur restera son domaine d’activité professionnelle. La « business school » lui fait découvrir un monde nouveau, mais elle ne sera pas Rastignac : la rencontre de ceux qui, à 20 ans, jonglent déjà avec l’argent exerce sur elle un effet repoussoir. « Cela ne se voit pas parce que je suis blanche, explique-t-elle, mais je suis une fille des cités, et la condescendance bourgeoise me glace encore. » Au cours de ses années d’études, trois enfants sont nés (Emile, Bleuette et Anémone) mais, quand elle sort diplômée de l’Essec, à 25 ans, elle divorce.

L’environnement, pour elle, n’est qu’un prétexte

En 2001, Cécile Duflot adhère aux Verts. D’abord membre du courant le plus à gauche, élue au collège exécutif en 2003, porte-parole du parti en 2005, elle en devient secrétaire nationale en 2006, à 31 ans. Authentique apparatchik, inconnue du grand public, elle est nourrie de cette mentalité écolo qui se sert des questions environnementales comme d’un prétexte pour mener le combat sur le terrain social, sociétal et culturel.
     En 2008 naît son quatrième enfant, Térébentine (du nom de l’essence naturelle de pin), fille de Xavier Cantat, le frère du chanteur, militant et photographe officiel des Verts, comme elle élu à Villeneuve-Saint-Georges. Ensemble, ils habitent la maison qui appartenait autrefois au grand-père de Cécile.
     En 2008 encore, elle est réélue secrétaire nationale des Verts. Habilement, elle fait la synthèse entre les courants et rassure les caciques de l’écologisme (Bové, Voynet, Cohn-Bendit, Mamère), tous persuadés qu’elle ne leur fera jamais d’ombre. Ainsi poursuit-elle son ascension. Après les régionales de 2010, elle préside un groupe de 50 élus en Ile-de-France. Après la fusion de plusieurs composantes écologistes au sein d’Europe Ecologie-Les Verts, elle est élue pour la troisième fois secrétaire nationale, en 2011, avec 92,7 % des voix, un score sans précédent. En 2012, ne se sentant pas prête pour la présidentielle, elle pousse en vain Nicolas Hulot, puis assiste silencieusement au naufrage d’Eva Joly (2,28 % des suffrages). Mais elle prépare la suite : un accord avec le PS promettant, en échange d’un silence sur le nucléaire, des députés et des ministres EE-LV.
     Au lendemain du 6 mai 2012, quand elle annonce son intention de quitter la direction du parti, on comprend qu’elle n’aspire pas à biner ses rosiers mais, à 37 ans, à aller plus loin. Nommée ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, elle est, avec l’obscur Pascal Canfin, un des deux ministres Verts. Pour les législatives de juin 2012, elle parvient à se faire céder une circonscription sans risque, à Paris, où elle est élue mais abandonne son siège à sa suppléante socialiste, qui était aussi son prédécesseur au Palais-Bourbon et dont on imagine les pressions qu’elle a dû subir pour se plier à ce marchandage.

« L’insoutenable légèreté de l’arrivisme »

Sur la photo officielle du gouvernement Ayrault, prise lors du premier Conseil des ministres, Cécile Duflot est en jean. Mais dans son ministère, sous les ors de l’Hôtel de Castries, rue de Varenne, elle va vite apprendre le métier, châtiant son langage de charretier et renonçant aux tweets blagueurs et aux déplacements en RER.
De l’avis même de ses adversaires, en tant que ministre, elle connaît ses dossiers. Mais les lois ou décrets qu’elle a fait adopter – augmentation de la part du logement social, encadrement des loyers, garantie universelle des loyers – portent sa marque idéologique, préférant le locataire au propriétaire.
     Dans son bureau trône une éolienne miniature, parce qu’une éolienne, elle trouve ça beau. Ecolo Cécile Duflot était, écolo elle reste. Ses prises de position, au début, en faveur de la dépénalisation du cannabis, ses attaques contre l’Eglise, l’hiver dernier, à propos des bâtiments prétendument vides à mettre à la disposition des sans-abris, sa présence aux manifestations pour le mariage homosexuel ou ses passes d’armes avec Manuel Valls au sujet des Roms reflètent de même des convictions assumées, qui s’expriment parfois par personnes interposées, comme on l’a vu avec le tweet de son compagnon Xavier Cantat, qui se vantait d’avoir laissé sa chaise vide au défilé du 14 Juillet. Mais ce positionnement procède aussi d’une tactique interne : en exaspérant la droite et en rappelant de quel camp elle est, Cécile Duflot apaise ses amis et conforte son autorité sur eux.
     Simultanément, toutefois, elle veille à ne pas aller jusqu’au point où elle entrerait en conflit avec le duo Hollande-Ayrault. En septembre dernier, lorsque Pascal Durand, son successeur à la tête des Verts, a lancé un ultimatum, exigeant de l’exécutif qu’il accélère la loi sur la transition énergétique afin de réduire à 50 % la part du nucléaire, elle l’a forcé à ne pas solliciter le renouvellement de son mandat de secrétaire national. « Par soif du pouvoir, elle a obéi à Hollande », commente, lui aussi sous le couvert de l’anonymat, un cadre du courant minoritaire. En octobre, contrairement à son parti, Cécile Duflot a approuvé la suspension de l’écotaxe et désapprouvé l’appel à manifester pour le retour en France de Leonarda. « La place des responsables politiques, ce n’est pas d’appeler les lycéens à descendre dans la rue », l’a-t-on entendue dire : certains militants Verts ont cru rêver… Daniel Cohn-Bendit, avec qui ses relations ont toujours été électriques, a parlé, à son endroit, de « l’insoutenable légèreté de l’arrivisme ». Sur l’autre bord, Nathalie Kosciusko-Morizet souligne que Cécile Duflot est « typique des Verts qui dealent systématiquement leurs convictions contre des postes ».
Selon les circonstances, Cécile Duflot se montre sous l’un de ses deux profils. Celui de la militante radicale, dont les ancrages n’ont pas changé, ou celui de la ministre qui s’accroche à son siège. Ce qui témoigne d’un cynisme bien compris et de la connaissance de l’axiome de base des trotskistes : le pouvoir se conquiert de l’intérieur.
      Il lui arrive encore de pleurer, et elle mange toujours des bonbons Haribo pour lutter contre le stress. Il reste que cette femme dotée d’un « charisme d’huître » et d’un look de « petite brune banale de banlieue » (les mots sont d’elle-même) est – pour l’instant – un personnage intouchable dans la galaxie Hollande. Car ce dernier a besoin des Verts pour donner l’illusion de ne pas gouverner qu’avec les socialistes, et il a besoin de Cécile Duflot pour garder la maison écologiste. Après le référendum européen de 2005, elle surnommait le futur Président « Potiron, l’ami de Oui-Oui ». Maintenant, une solidarité d’intérêts les lie tous les deux. Devenue femme de pouvoir, Cécile Duflot pense aussi à 2017.

Jean Sévillia

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