En 2010, pour le quatrième centenaire de sa mort, de nombreuses manifestations vont célébrer Henri IV, le plus populaire des rois de France. Une commémoration patronnée par le président de la République.
Le 14 mai 1610, le poignard de Ravaillac mettait fin à la vie d’Henri IV. Pour commémorer le quatrième centenaire de la mort du plus populaire des rois de France, de multiples manifestations seront organisées cette année : expositions, colloques, conférences, concerts, et même « poules au pot conviviales ». « Notre pays n’oublie pas, souligne Jacques Perot, président de la Société Henri IV, et a placé cet anniversaire parmi les plus importantes célébrations nationales de 2010. » A preuve le message que Nicolas Sarkozy a adressé, le 10 décembre dernier, aux organisateurs de l’Année Henri IV, saluant « l’œuvre fondatrice » d’un monarque qui « apporta à la France la prospérité et la paix civile » (1). En librairie, cette commémoration est accompagnée par rééditions et nouveautés, parmi lesquelles s’imposent les livres de Jean-Pierre Babelon, Jean-Marie Constant et Jean-Christian Petitfils (2).
Né à Pau en 1553, le futur Henri IV est le fils d’un prince du sang, Antoine de Bourbon, et de la reine de Navarre, Jeanne d’Albret. Sa petite enfance se déroule dans le Béarn, où sa mère l’élève dans le calvinisme. Au cours de sa dixième année, alors qu’il séjourne à la Cour, le jeune prince assiste au ralliement de son père au catholicisme, et au déclenchement de la première guerre de Religion ; lui-même, dès lors, observe les rites catholiques. En 1567, ayant perdu son père, il retourne à Pau, où sa mère le ramène à la Réforme. En 1569, il participe à la bataille de Jarnac, défaite protestante qui, du fait de la disparition de Louis de Condé, le laisse premier prince du sang.
En 1572, à la mort de sa mère, il devient roi de Navarre. En signe de réconciliation entre catholiques et protestants, il épouse Marguerite de Valois, sœur de Charles IX. Ce lien lui vaut d’être épargné lors de la Saint-Barthélemy. Un mois plus tard, il abjure le calvinisme.
Duplicité ? Réalisme ? Les historiens en débattent encore. Car les fluctuations d’Henri ne sont pas terminées. En 1574, la guerre ayant repris, il se sépare de sa femme, renie le catholicisme, et prend la tête des protestants. Bientôt, cependant, jouant un rôle modérateur, il prône le rapprochement avec les catholiques et le respect de la fonction royale. Tout se passe, note Jean-Pierre Babelon, comme s’il était « un vice-roi ». En 1584, Henri III n’ayant pas d’enfant, la mort du duc d’Anjou, dernier frère du roi, fait de lui l’héritier de la couronne. Un roi protestant ? L’hypothèse heurte les catholiques, et excite l’extrémisme de la Ligue.
La logique politique est cependant la plus forte : Henri III et son successeur sont solidaires. En 1589, après l’assassinat du monarque, le roi de Navarre devient le roi de France Henri IV. Le souverain accède au trône dans un pays déchiré par un conflit religieux qui est en réalité un antagonisme politique, attisé par l’Angleterre et l’Espagne qui en tirent parti. Il doit affronter à la fois les protestants et les ligueurs : quoiqu’opposés, ceux-ci ont en commun, comme le montre bien Jean-Marie Constant, de contester le pouvoir royal.
Toute l’œuvre d’Henri IV va consister à affermir sa légitimité, à faire la paix intérieure, à restaurer l’Etat, à imposer son autorité vis-à-vis de l’étranger, et à relever un royaume en ruines. Le roi finira par abjurer le protestantisme (1593) et se faire sacrer à Chartres (1594). En 1598, l’édit de Nantes, accordé aux calvinistes, met un terme au conflit civil. La paix assurée, Henri IV s’emploie à remettre de l’ordre dans le pays, et à affirmer son pouvoir face aux grands et aux parlements. Sully, nommé surintendant des Finances, s’attelle à reconstruire la France.
Lorsque Henri IV est assassiné – selon Petitfils, Ravaillac, à la veille d’une nouvelle guerre contre les Habsbourg, aurait été l’agent inconscient d’un complot ourdi par l’archiduc Albert -, le règne a posé les fondements d’une France nouvelle, qui s’épanouira au Grand Siècle. La mort tragique du roi va transfigurer son personnage en mythe national. Toutes les époques, depuis, ont utilisé son image. Sous Louis XIV, Henri IV incarne la figure de l’honnête homme. Sous la Régence, il est représenté comme un libertin, grand amateur de femmes, puis Voltaire en fait un adepte du despotisme éclairé. Quant au XIXe siècle, il magnifie le Vert-Galant intrépide, généreux et paillard.
Notre époque le loue comme un apôtre du vivre ensemble, au prix d’un contresens historique. L’édit de Nantes, destiné à mettre fin aux combats entre catholiques et protestants, a été négocié comme un compromis entre belligérants : il instaure moins la tolérance entre les deux religions qu’il n’organise la coexistence entre elles, sur la base d’un partage territorial. Néanmoins, instaurant la paix intérieure sous les auspices de l’oubli et du pardon, c’est un grand acte politique, voulu par un roi qui concevait l’Etat comme un serviteur de l’intérêt général, au-delà des passions particulières.
Lui rendre hommage, c’est donc se souvenir que « l’histoire de la France moderne n’a pas commencé avec la révolution de 1789 ». Cette phrase est tirée du message du président de la République : elle n’en a que plus de saveur.
Jean Sévillia
1) Le programme des manifestations de l’Année Henri IV est disponible sur le site de la Société Henri IV : www.societe-henri-iv.eu
2) Jean-Pierre Babelon, Henri IV (Fayard) ; Jean-Marie Constant, Henri IV, roi d’aventure (Perrin) ; Jean-Christian Petifils, L’Assassinat d’Henri IV (Perrin).