Pie XII, un pape diplomate face au Mal

S’appuyant sur ses recherches dans les archives du Vatican, un historien dédouane Pie XII des accusation lancées contre lui, mais sans cacher l’envers d’un pontificat incompris.

A sa mort, en 1958, Pie XII était unanimement salué. « Nous pleurons un grand serviteur de la paix », proclamait Golda Meir, ministre des Affaires étrangères d’Israël. En 1963, Le Vicaire, la pièce de l’Allemand Rolf Hochhuth qui mettait en scène un pape indifférent au sort des Juifs pendant la guerre, devait brouiller son image. Dans les années 1990-2000, des historiens anglo-saxons et le film Amen de Costa-Gavras relançaient les attaques, allant jusqu’à incriminer Pie XII d’avoir été « le pape de Hitler ». Une accusation si excessive quelle a incité des chercheurs à profiter de l’ouverture des archives de Pie XI, en 2006, puis de celles de Pie XII, pour établir la vérité. A son tour, Frédéric Le Moal, un spécialiste de l’histoire italienne, rouvre le dossier en s’appuyant sur les documents disponibles depuis 2020 dans les archives vaticanes. Il en résulte une biographie très équilibrée, qui s’inscrit en défense de Pie XII mais sans jamais verser dans l’hagiographie, ne niant nullement l’envers d’un pontificat aujourd’hui incompris.

Eugenio Pacelli, né en 1876 au sein d’une famille patricienne de Rome, est ordonné prêtre en 1899. D’une intelligence supérieure, il entre, à l’âge de vingt-cinq ans, à la Secrétairerie d’Etat du Vatican : toute sa vie, il sera un diplomate, préférant l’action silencieuse aux déclarations fracassantes. Nonce apostolique en Bavière de 1917 à 1920 puis à Berlin à partir de 1920, il est rappelé à Rome, en 1929, et créé cardinal. En 1930, il devient secrétaire d’Etat de Pie XI qui voit en lui son successeur. Fin connaisseur de l’Allemagne, Mgr Pacelli prépare avec la République de Weimar un Concordat mais qui sera finalement conclu en 1933 avec le Reich. En lien avec les évêques les plus hostiles à l’entreprise hitlérienne, il est la cheville ouvrière de Mit brennender Sorge, l’encyclique antinazie publiée par Pie XI en 1937. Effectuant de grands voyages à travers l’Europe et les Etats-Unis, il en tire l’image d’un pape francophile et ami du monde anglo-saxon.

Le 2 mars 1939, le cardinal Pacelli succède à Pie XI sous le nom de Pie XII. Il accède au pontificat à l’heure où la guerre est inéluctable. Chef d’un Etat contraint à la neutralité, le pape agit et parle en diplomate. Frédéric Le Moal, cependant, accumule les faits prouvant que le cœur du Souverain Pontife penche du côté des Alliés. Pendant la « drôle de guerre », Pie XII accepte ainsi d’être l’intermédiaire entre les Anglais et un groupe de généraux allemands qui veulent éliminer Hitler. « Pas la moindre trace de naziphilie au Vatican », rapporte Wladimir d’Ormesson, l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège. « Je redoute Hitler encore plus que Staline », confie Pie XII, qui refuse de bénir la « croisade antibolchevique » contre l’URSS. Si l’antijudaïsme religieux, à l’époque, reste prégnant au sein de la Curie, le pape est exempt de tout antisémitisme. « Il n’y a eu ni indifférence ni complicité de la part de Pie XII, souligne Le Moal, face à l’œuvre démoniaque de la destruction du peuple juif. (…) La réalité qui remonte de la plongée dans les archives vaticanes est bel et bien celle d’une impuissance face aux crimes perpétrés par les nazis. » Pape de la Guerre froide, Pie XII, profondément anticommuniste, ne soutient pas pour autant systématiquement la politique américaine.

Frédéric Le Moal brosse au total un portrait contrasté de ce pape traditionnel par la façon dont il exerçait sa charge, comme un monarque gouvernant personnellement tout en montrant parfois de l’indécision, attentif aux évolutions du monde, approuvant ainsi la décolonisation, et moderne par son intérêt pour le cinéma et la télévision, et la recherche scientifique. Son drame intime, sans doute, aura été d’être confronté aux deux totalitarismes du XXe siècle. « Pie XII, pape au mauvais moment ? » C’est l’auteur qui pose la question dans ce livre précieux.

Jean Sévillia

Pie XII. Le pape face au Mal, de Frédéric Le Moal, Perrin, 482 p., 24 €.

Article publié dans le Figaro Magazine du 4 octobre 2024.

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