Les bleus à l’âme des bobos

C’est une histoire vraie. En 1995, Géraldine a 30 ans. Cette Française a un mari, Américain, qui exerce à Paris le même métier qu’elle : journaliste. Ils ont vécu en Afrique, continent sur lequel ils écrivent dans leurs journaux respectifs. Etant de gauche, ils aiment par principe la diversité culturelle, le mélange ethnique, social et religieux. En cette année 1995, ils décident de s’installer avec leur enfant – un deuxième naîtra trois ans plus tard – dans un quartier de Paris correspondant à leur idéal : entre Belleville et Ménilmontant, là où les derniers restes du Paris ouvrier et populaire cèdent la place à ceux qu’on appellera bientôt les « bobos », et à toutes sortes d’immigrés.

Avec une honnêteté certaine, Géraldine raconte les problèmes croissants que sa famille a dû affronter : voisinages difficiles, incompréhensions mutuelles, insécurité. Pour ces athées de culture laïque, la première transgression a consisté à inscrire leurs enfants dans l’école catholique du coin, en observant, sans savoir s’ils doivent s’en réjouir ou le déplorer, que c’est une école « où le catholicisme rase les murs ». Parallèlement ils ont assisté, autour de la mosquée Omar, rue Jean-Pierre Timbaud, à la progression de l’islamisme radical. Dans ces rues du 11e arrondissement de Paris, au début des années 2000, les femmes européennes, l’été, n’osaient déjà plus se montrer les bras nus pour ne pas se faire insulter. Peu à peu, la prétendue mixité sociale et culturelle a fait place à une juxtaposition des communautés qui se croisent mais ne se parlent plus.

En 2007, Géraldine et son mari sont partis pour les Etats-Unis, pour des raisons professionnelles, mais aussi, avoue-t-elle, parce que « nous étions au bout de notre rêve d’une France où l’origine n’aurait pas d’importance ». Ce sont les attentats de 2015 qui l’ont incitée à raconter son expérience.

   « Je me suis trompée », écrit-elle. Géraldine a 50 ans. Elle est toujours de gauche, mais ne croit plus au multiculturalisme et au droit à la différence affirmé comme un absolu. Son témoignage est poignant. S’il nous montre au-devant de quels drames nous allons, il ne contient pas vraiment de solution. Sinon, en creux, que la citoyenneté française est à réinventer. Cela, nous le savions depuis longtemps, mais lire ce constat sous une plume bobo prouve que le choc du réel ouvre tous les possibles.

 

Jean Sévillia

 

Géraldine Smith, Rue Jean-Pierre Timbaud. Une vie de famille entre barbus et bobos, Stock, 192 pages, 18,50 €.

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