Tyrol : l’appel des cimes

Des paysages d’une beauté à couper le souffle, de fortes traditions culturelles, une population accueillante : en Autriche, le Tyrol tend les bras aux amateurs de sports de montagne, mais pas seulement à eux.

Envie d’oublier l’actualité déprimante ? Besoin de dépaysement sans faire huit heures d’avion ? Pas de problème : on vous conseille un pays qui respire la paix, où les gens sont gais, et qui est si peu éloigné de Paris qu’on peut prendre son petit déjeuner chez soi et être arrivé dans cet autre monde à midi. Cette destination exotique s’appelle le Tyrol.

Un oeil sur la carte. Le Tyrol, province autrichienne, est une longue vallée alpine baignée par l’Inn, rivière qui coule d’ouest en est et finit son cours dans le Danube. Sur cette vallée principale se greffent des vallées latérales, la plus large rejoignant le sud. Au sud du Tyrol, donc, l’Italie. A l’ouest, la Suisse. Au nord, l’Allemagne. A l’est, la province de Salzbourg, le Tyrol oriental (portion du Tyrol que l’Histoire a isolée du reste) et toute l’Autriche.

Au centre se trouve Innsbruck, cité de 120 000 habitants dont 30 000 sont des étudiants. Des rues où un passant sur quatre a 20 ans, cela donne tout de suite une ambiance qui n’est pas triste. La capitale du Tyrol est une belle ville qui est en même temps un paysage : les massifs qui l’entourent en font intégralement partie. On a beau l’avoir vu cent fois, le célèbre Petit Toit d’or (Goldenes Dachl) qui surplombe la place principale de la vieille ville a toujours le même charme quand le soleil caresse le mur minéral de la Nordkette (« la chaîne du Nord ») qui lui sert de toile de fond. De l’arc de triomphe, érigé pour célébrer le mariage du futur empereur Léopold II avec une infante d’Espagne, à la colonne Sainte-Anne, élevée pour commémorer l’évacuation du Tyrol par les troupes de Louis XIV et de son allié l’Electeur de Bavière, la perspective de la Maria-Theresien-Strasse, artère commerçante aujourd’hui réservée au tramway et aux piétons, aligne une série de façades aux crépis de couleurs variées.

Il faut savoir se perdre dans le dédale des petites rues. Voici le Goldener Adler, hôtel fondé au XVIe siècle, sur la façade duquel une plaque rappelle le nom des hôtes illustres, de Goethe à Albert Camus. On marche entre des échoppes à touristes (à éviter) et on rejoint la Hofburg, l’ancien palais impérial des Habsbourg. Appartements rococo, stucs, poêles en faïence : on se croirait à Vienne. Dans la grande salle des fêtes, l’impératrice Marie-Thérèse avait fait peindre ses enfants et leurs conjoints : les Français peuvent donc saluer un portrait de Marie-Antoinette et de son jeune mari, le futur Louis XVI. On traverse une rue et voici le musée des Arts et Traditions populaires, sans doute un des plus beaux d’Europe. Collections de crèches ou de traîneaux peints, costumes et meubles historiés, assiettes et couverts de bois sculpté, vaisseaux d’étain et de cuivre, cibles enluminées et objets de piété, reconstitutions de salles à manger ou de chambres à coucher : c’est toute la civilisation catholique et paysanne du vieux Tyrol qui est mise en scène ici.

Dans l’église de la Hofkirche, attenante au musée, on s’attardera devant le cénotaphe de l’empereur Maximilien, sculpté dans le marbre au XVIe siècle, et les 28 statues en bronze de ses ancêtres mythiques ou réels qui lui tiennent compagnie, d’Albert Ier, premier duc d’Autriche, à Philippe le Beau, roi de Castille. L’église abrite aussi le tombeau d’Andreas Hofer, ce paysan qui souleva le Tyrol contre Napoléon, en 1809, et qui finit fusillé par les Français. Un crêpe noir de deuil est fixé à la statue du héros, rappelant la perte par l’Autriche du Tyrol du Sud, rattaché à l’Italie en 1919. Un superbe musée-panorama a été récemment édifié sur la colline du Bergisel, au-dessus de la ville : il mérite d’être visité par qui s’intéresse à l’Histoire et veut comprendre la mémoire tyrolienne sur des sujets restés sensibles.

Le château d’Ambras, à la sortie est d’Innsbruck, vaut aussi le détour. Il fut bâti par l’archiduc Ferdinand de Tyrol, neveu de Charles Quint et frère de Maximilien II, qui en fit le centre d’une vie de cour fastueuse au XVIe siècle ; Montaigne, qui y fit un passage, en parle dans son Journal de voyage.

N’allez pas croire, toutefois, qu’Innsbruck soit une ville-musée. Dans les nouvelles galeries commerciales de la Maria-Theresien-Strasse, on trouve les mêmes marques qu’à Paris ou à Londres. Pour bâtir sa nouvelle mairie, il y a une dizaine d’années, la ville a fait appel au Français Dominique Perrault (l’architecte de la Bibliothèque nationale de France), de même qu’elle a retenu l’Irako-Britannique Zaha Hadid, star mondiale de l’architecture, pour dessiner le nouveau tremplin de saut du Bergisel ou les stations et le pont suspendu au-dessus de l’Inn du métro-funiculaire, qui part du centre pour mener à la Nordkette.

La vallée de l’Inn, quand on est pressé, peut se traverser par l’autoroute qui permet de gagner Salzbourg ou Munich en deux heures. A contrario, le même itinéraire peut être effectué par la piste cyclable qui suit la rivière sur 230 kilomètres. Un moyen terme consiste à prendre sa voiture pour aller visiter Hall, Rattenberg et Kufstein, charmantes petites villes où l’on voudrait arrêter le temps. A Wattens, les Mondes de cristal (Kristallwelten) ouverts il y a vingt ans par Swarovski, célèbre fabricant de cristal et joaillier qui fête son 120e anniversaire, vient d’agrandir ses espaces souterrains. Ceux-ci permettent à des artistes de composer des oeuvres qui s’animent en mariant la pierre, l’eau et la lumière. Détail peu banal, les Kristallwelten de Wattens se placent au deuxième rang, en termes de fréquentation, des attractions touristiques de l’Autriche, juste après le château de Schönbrunn.

Mais il faut approcher la montagne puisque c’est elle qui, couvrant 87 % de la surface du Tyrol, donne à ce pays sa particularité géographique. A partir de l’Inn, on a le choix d’obliquer vers ces routes transversales qui, de village en village, ne mènent nulle part ailleurs qu’à une ultime station alpestre, au-dessus de laquelle il n’y a plus que des pierriers et des glaciers. Dans ces vallées, une présence saute aux yeux, et plus on monte, plus elle s’impose : les vaches. Le Tyrol est une région où l’agriculture et l’élevage restent des secteurs économiques vivants, qui participent à l’équilibre du paysage : les vastes herbages servent à faire paître les bêtes ou sont fauchés en prévision de l’hiver. La moindre pente est fauchée et, quand c’est trop pentu pour le tracteur, c’est l’homme qui coupe à la faux. L’été, au moment de la fenaison, c’est un prodigieux spectacle que de voir, du matin au soir, des familles entières qui fauchent à l’ancienne, effectuant les mêmes gestes que leurs ancêtres il y a cent ans. Les sentiers de promenade, où tintinnabulent les cloches des vaches, embaument ainsi le foin coupé, pendant que les coteaux, au fur et à mesure qu’ils ont été fanés, prennent un air de gazon léché. Et le promeneur, qui n’a pas fourni d’autre effort que d’être là, profite honteusement de ce bonheur…

A une quarantaine de kilomètres à l’est d’Innsbruck, le Zillertal s’ouvre comme une large vallée au faible dénivelé, ce qui en fait le paradis des cyclistes et des marcheurs seniors. C’est après Mayrhofen, gros bourg aux maisons typiques, enchâssé dans un écrin de montagnes, que la route monte et que la beauté du site éclate. Des quatre voies possibles, il faut suivre la plus belle, qui mène à Finkenberg puis à Hintertux. De là, on a le choix entre une dizaine de téléphériques et de télésièges pour monter à 2 500 mètres ou 3 000 mètres d’altitude. Sur les cimes, le soleil illumine 80 glaciers et un domaine skiable qui ne ferme pas de l’année.

A 60 kilomètres à l’ouest d’Innsbruck, l’Otztal est une vallée où la route, au contraire, s’élève par degrés de village en village. A Otz, le Gasthof zum Stern, auberge fondée au XVIe siècle, est toujours en activité. A Umhausen, une promenade au milieu d’une forêt de mélèzes conduit au Stuibenfall, la plus grande cascade du Tyrol (159 mètres de chute d’eau). Non loin se trouve Otzi Dorf, un petit parc d’attractions destiné à faire comprendre comment vivait Otzi, l’homme préhistorique qui a été découvert momifié, en 1991, sur un glacier du fond de la vallée. Après Sölden, station vouée à tous les sports de montagne, y compris le ski d’été, on a le choix entre la route de Gurgl, parsemée de cubes architecturaux modernes qui se fondent assez bien dans le paysage ; au-delà du col du Timmelsjoch, c’est la frontière italienne et la descente vers Meran et le Tyrol du Sud. L’autre route, celle de Vent, sauvage et préservée, mène au bout du monde. Là où elle s’arrête, on peut encore marcher trois quarts d’heure pour arriver à la ferme de Rofen, la plus haute d’Europe. Le Gasthaus exploité par le paysan sert une bière fraîche qui procure un plaisir sans égal.

Le Tyrol est un pays de sportifs (les enfants d’ici skient comme des dieux à 4 ans) qui offre 24 000 kilomètres de chemins de randonnée, 573 sommets de 3 000 mètres et plus, 5 000 voies d’escalade, 3 000 guides de montagne, 6 000 kilomètres de chemins balisés pour le VTT, 1 000 kilomètres de pistes cyclables, d’innombrables aires pour le parapente et 23 terrains de golf dans une région où le vert est la plus évidente des couleurs.

Mais il y a d’autres raisons d’aller là-bas, et de bien plus profondes. A commencer par ce miracle : ce peuple, pour qui le tourisme constitue évidemment une activité économique primordiale, a réussi à garder son âme. Si bien qu’il ne pratique pas le tourisme en tant qu’hôte, comme une industrie, mais comme un ami qui vous accueille avec l’envie que vous vous plaisiez chez lui. On pourra sans doute trouver des exceptions, mais spontanément, naturellement, le Tyrolien, comme tous les Autrichiens, est accueillant.

Et, si ce peuple a gardé son âme, c’est parce qu’il tient à son particularisme, à son histoire, à ses traditions. Le Tyrol n’est venu à l’Autriche, au Moyen Age, ni par conquête ni par mariage, mais par un libre acte de sa souveraine, Margarete Maultasch, acte contresigné au nom de toute la population par les seigneurs du Tyrol. Dès le XVe siècle, la province avait une Constitution et un Parlement où les bourgeois et les paysans (qui n’avaient jamais subi le servage) siégeaient sur un pied d’égalité avec les nobles : le Tyrol est un pays d’hommes libres. On se méfie de Vienne, ici, et on est fier de la vitalité des compagnies de Schützen, ces sociétés de tir dont l’uniforme varie de vallée à vallée et qui maintiennent le souvenir des anciennes milices populaires : il y a très longtemps, les Habsbourg avaient dispensé les Tyroliens du service militaire, ne les obligeant qu’à défendre leurs frontières. Ces mêmes Tyroliens, en 1809, mirent Napoléon en échec…
Il faut de même comprendre que le costume local ou les chants et les danses ne sont pas du folklore maintenu pour appâter le touriste, même si les soirées tyroliennes de la saison d’été (Tiroler Abend ou Heimat Abend) en ont l’apparence, mais l’expression d’une culture joyeuse et populaire qui se perpétue.

C’est tout cela qui rend ce pays si attachant. L’équilibre de la nature et des villes. L’harmonie de l’habitat et des paysages. La bonhomie des habitants, et leur dynamisme. Les traditions, et l’intégration sans heurt dans la modernité. Dans un univers qui s’uniformise, les Tyroliens restent eux-mêmes. Qu’ils le restent. Sur le plateau d’Axams, au-dessus d’Innsbruck, la petite route du Sellraintal rejoint Kühtai, d’où l’on peut rejoindre l’Otztal. Il faut s’être trouvé là un jour, dans la douceur de l’été, avoir contemplé la montagne et regardé les vaches et les chevaux qui courent ici en liberté, pour savoir combien le Tyrol est beau comme le premier matin du monde.

Jean Sévillia

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