3800 aviateurs ou marins japonais sont morts, en 1944-1945, au cours d’opérations-suicides.
C’est le 25 octobre 1944, au moment où les Américains s’efforçaient de reprendre les Philippines aux Japonais, que tout a commencé. A l’aube, un porte-avions de l’US Navy, rebaptisé le St. Lo en l’honneur de la récente prise de la ville de Normandie par les GI, venait de se tirer intact d’un affrontement au cours duquel quatre autres bâtiments américains avaient sombré. Mais à 10 h 53, un avion ennemi, surgi à l’improviste, avait plongé vers le navire et s’était écrasé sur le pont qui, sous le choc, s’était déchiré. La bombe transportée par le chasseur nippon était tombée sur un pont inférieur, déclenchant une série d’explosions qui avaient été fatales : une demi-heure après avoir été frappé, le porte-avions était englouti dans les flots. Le St. Lo avait été victime de la première attaque kamikaze. Conçue par un état-major japonais désespéré depuis le tournant de la bataille de Midway (juin 1942), la stratégie des Tokkotai (unités d’attaque spéciales) allait coûter la vie à 3 800 aviateurs et marins nippons, mais également à plusieurs milliers d’Américains ou d’Anglais : une quarantaine de navires alliés seront envoyés au fond du Pacifique par des avions-suicides, les dernières missions se déroulant peu avant la reddition de l’empire du Soleil-Levant, le 15 août 1945.
Pierre-François Souyri et Constance Sereni, deux spécialistes du Japon, expliquent le terreau sur lequel a poussé cette étrange conception de la guerre : la philosophie du bushido et des mythes sacrificiels qui hantent la littérature nippone de l’époque, un nationalisme impérialiste absolu appuyé sur un militarisme brutal.
Les auteurs de l’ouvrage, toutefois, décryptent les images de propagande montrant des aviateurs qui boivent un dernier verre de saké et entonnent un chant patriotique avant de s’envoler pour la mort sous le regard de jeunes filles agitant des branches de cerisier. Les archives prouvent en effet que, si certains aviateurs improvisés partaient fanatisés, d’autres, notamment les officiers de carrière, volontaires forcés, gardaient leur lucidité. « Le Japon est foutu s’il fait tuer des pilotes d’élite comme moi », confie le lieutenant Seki Yukio à un journaliste qui fera connaître son opinion… après la guerre.
Jean Sévillia
Kamikazes, de Constance Sereni et Pierre-François Souyri, Flammarion, 254 p., 22 €.