Une biographie de Victor-Emmanuel III
L’Italie passe, à raison, pour la nation-soeur de la France. Pourtant, les connaissances des Français en matière d’histoire italienne se bornent à quelques vagues souvenirs scolaires sur la République de Venise ou la geste de Garibaldi. Pour l’époque contemporaine, Mussolini semble à lui seul occuper les mémoires, alors que ses vingt-trois années de dictature ne résument pas le destin d’un peuple. Le Duce a été nommé Premier ministre par Victor-Emmanuel III, en 1922, et destitué par lui en 1943. Mais qui sait quoi que ce soit, en France, sur ce roi qui fut le dernier monarque effectif de la maison de Savoie, son fils Humbert II n’ayant régné qu’un mois, en mai 1946, avant l’abolition de la monarchie ? Spécialiste de l’Italie et des Balkans, Frédéric Le Moal fait donc un pari courageux en publiant une biographie de ce personnage lointain, mais dont on mesure, en lisant ce livre d’une grande clarté, qu’il a été, pour le meilleur ou pour le pire, un réel acteur de son temps (1).
Doté d’un physique ingrat (il mesurait un mètre et demi et n’était pas beau de visage), Victor-Emmanuel III souffrait de tendances dépressives et détestait paraître en public. Ayant accédé au trône en 1900, il exerçait néanmoins son rôle au sérieux. En 1915, c’est lui qui prit la décision de faire entrer son pays dans la guerre. Avec Mussolini, il aura des rapports ambivalents, mêlant fascination et rejet. En 1939, le dictateur s’apprêtait à liquider la monarchie, mais s’en abstiendra pour ne pas s’aliéner l’armée où le loyalisme dynastique était puissant. Le roi, hostile à l’alliance allemande, se retrouva dans le même camp que Ciano, le ministre des Affaires étrangères, qui était aussi le gendre du Duce. Le passionnant journal de Ciano montre en effet ce progermaniste actif se muer en opposant à l’Allemagne et à la guerre (2). En 1943, Victor-Emmanuel III fit arrêter Mussolini et s’engagea au côté des Alliés, mais ce retournement tardif ne lui permit pas de sauver sa couronne. Frédéric Le Moal souligne toutefois que ce roi « mérite mieux qu’un procès sans fin », et il en donne les raisons.
Jean Sévillia
(1) Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini, de Frédéric Le Moal, Perrin, 556 p., 26 €.
(2) Journal politique, de Galeazzo Ciano, Tempus, deux volumes en un coffret, 24,50 €.