L’aristocrate antinazi

Catholique et monarchiste, Friedrich Reck-Malleczewen, mort à Dachau en février 1945, vivait depuis 1933 dans la haine du nazisme. 

     « J’ai la certitude que le grand corrupteur a signé aujourd’hui son propre arrêt de mort », notait Friedrich Reck-Malleczewen à l’annonce de la mobilisation générale de l’armée allemande, en août 1939. Le « grand corrupteur », c’était Hitler. Depuis que ce dernier avait pris le pouvoir, l’auteur le haïssait. « Je t’ai haï à tout instant qui s’est écoulé depuis, poursuivait-il en s’adressant à lui dans son journal intime, je te hais tellement que j’offre ma vie avec joie pour provoquer ta perte ; c’est avec joie que je sombrerais si je pouvais seulement assister à ton naufrage, t’attirer dans l’abîme avec ma haine. »
     Né en 1884 en Prusse-Orientale, mais préférant l’Allemagne du Sud, ce junker avait échappé à la Première Guerre mondiale pour raisons de santé. Dans les années 1920, médecin, voyageur (il avait parcouru l’Amérique et l’Afrique), critique littéraire et romancier, Reck-Malleczewen n’avait cessé, replié dans son château de Chiemgau, près de Munich, d’être un aristocrate, conservateur et monarchiste (« notre gracieux maître », écrit-il à propos du prince héritier Rupprecht de Bavière). C’est à ce titre qu’il était devenu un antinazi intraitable, jugeant Adolf Hitler comme un raté parvenu à la tête de l’Allemagne par un accident de l’histoire, et qualifiant son mouvement de « révolte des facteurs et des instituteurs ». Chrétien protestant, le hobereau s’était converti au catholicisme, en 1933, voyant dans l’Eglise « le dernier rempart contre la barbarie et la bestialité montante ». Fustigeant la mystique nationaliste, raciste et antisémite des hitlériens, il n’était pas plus indulgent pour les magnats du commerce et l’industrie qui s’étaient alliés aux militants à croix gammée.
     Arrêté en octobre 1944, relâché, de nouveau arrêté par la Gestapo, Reck-Malleczewen fut envoyé au camp de Dachau où il est mort, le 16 février 1945, de sévices ou de maladie, on ne sait. Il avait enterré dans son parc le journal qu’il tenait depuis 1936 et qui a été retrouvé après sa disparition. Ce prodigieux document, publié en Allemagne en 1947, traduit en français en 1969 et réédité aujourd’hui, montre le drame des Allemands antinazis réduits, comme il l’écrit, à « implorer la défaite de leur patrie par amour de celle-ci ».

Jean Sévillia

La Haine et la Honte. Journal d’un aristocrate allemand, 1936-1944, de Friedrich Reck-Malleczewen, Vuibert, 286 p., 19,90 €. Traduit de l’allemand par Elie Gabey et Pierre-Emmanuel Dauzat.

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