Des rois lettrés et artistes

Qu’aimaient nos souverains, à titre personnel, en matière d’art, de littérature ou de science ?

     Dans une thèse devenue classique, Les Deux Corps du roi, l’historien allemand Ernst Kantorowicz, étudiant les fondements symboliques du pouvoir à l’ère médiévale, distinguait le corps humain du souverain, terrestre et mortel, du corps politique qu’il incarnait, qui dépassait sa personne et qui était, lui, immortel. Jean-François Solnon, un spécialiste de l’Ancien Régime, introduit une distinction analogue en analysant le goût des rois en matière d’art, d’architecture, de littérature ou de musique : au-delà des pratiques de cour auxquelles ils étaient astreints, au-delà de leur politique de mécénat, quelles étaient les inclinations intimes des monarques ? L’historien s’emploie à répondre à cette question en nous livrant, des Valois aux Bonaparte, une synthèse qui manquait sur le sujet.
     Solnon rappelle l’adage énoncé au XIIe siècle par Jean de Salisbury : « Un roi sans culture est un âne couronné. ». En dépit de ce principe, tous les cas de figure existent. « Je ne m’y connais pas assez », éludait Louis XIV alors qu’on l’interrogeait sur la qualité d’un tableau. Pieux mensonge, car il savait parfaitement reconnaître le talent, et pas qu’en peinture : comme François Ier avant lui ou Napoléon Ier après lui, le Roi-Soleil s’intéressait à la fois aux lettres, aux arts et aux sciences. Henri IV, en revanche, était un roi bâtisseur mais négligeait la musique, alors que son fils Louis XIII fut un compositeur qui mériterait d’être redécouvert. De son côté Louis XVI, indifférent à la peinture, se passionnait pour la géographie, tandis que Napoléon III, en dépit de sa formation d’autodidacte, était érudit en matière d’histoire antique.
     Il faut tenir compte des modes auxquelles les souverains ont pu être sensibles, à l’unisson de leur époque, ou a contrario passer outre les mauvaises réputations que leurs adversaires, de Saint-Simon à Victor Hugo, ont voulu laisser d’eux. A part Charles X, toutefois, il n’y a pas trace de souverain indifférent aux choses de l’esprit. « Cette reconnaissance accordée aux hommes de culture, particulièrement marquée en France, observe Jean-François Solnon, donne un supplément d’âme aux puissants et profite à leur royaume autant qu’à leur postérité. » On aura la charité de ne pas faire de comparaison avec aujourd’hui.

Jean Sévillia

Le Goût des rois. L’homme derrière le monarque, de Jean-François Solnon, Perrin, 350 p., 22 €.

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques