Un prince français

Jean d’Orléans, duc de Vendôme, se marie. Le fils du comte de Paris veut inventer une nouvelle façon de servir son pays.

Ce samedi 2 mai, la ville de Senlis, dans l’Oise, va connaître une agitation inhabituelle. Dans quelle catégorie classer l’événement ? Le mariage qui y sera célébré ne sera ni un symbole historique, ni un acte politique, ni un événement mondain, et pourtant il touche à l’histoire, à la politique et à la vie du grand monde. Pour les mariés, sans hésitation, c’est d’abord un acte religieux. Qui leur permettra, disent-ils, de «fonder un foyer chrétien». A 11 heures, en la cathédrale Notre-Dame, le prince Jean d’Orléans, duc de Vendôme, fils du comte de Paris et de la duchesse de Montpensier, épousera Philomena de Tornos y Steinhart, qui est espagnole par son père et autrichienne par sa mère.

La messe de mariage sera célébrée par Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, le consentement des époux étant reçu par Mgr Philippe Brizard, directeur de l’œuvre d’Orient. Des prélats «proches par le cœur et l’esprit», explique Jean d’Orléans. Après la cérémonie, un vin d’honneur sera offert par la municipalité de Senlis, dans les jardins du château royal, à l’occasion duquel tout un chacun pourra féliciter les mariés. Pendant ce temps, les quelques centaines d’invités officiels gagneront l’hippodrome du château de Chantilly, à une dizaine de kilomètres, où se tiendra la réception. Les parents, alliés et amis des mariés y côtoieront des personnalités de la société civile : on croisera donc les princes de Belgique, du Luxembourg, d’Espagne, de Bragance, du Wurtemberg ou de Habsbourg, comme des ambassadeurs ou des industriels venus de toute l’Europe, mais aussi Bernadette Chirac, Rachida Dati, Jean-Jacques Aillagon, Ernest-Antoine Seillière ou Alain Decaux.

C’est à Senlis que Hugues Capet a été élu roi en 987. Quant à Chantilly, le domaine avait été légué à l’Institut de France, son actuel propriétaire, par le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe. «Deux lieux liés à l’histoire de la famille», commente Jean d’Orléans, descendant des rois de France.

Né en 1965, titulaire de deux maîtrises obtenues à Paris (philosophie et droit) et d’un MBA décroché dans une université californienne, le prince a travaillé pendant dix ans comme consultant. En 2007, il a réorienté son activité. Tout en gérant un groupement forestier en Picardie, il a créé sa propre entreprise : la Société pour le développement du patrimoine. Une toute petite structure, à vrai dire, dont le but est de faire servir son nom et son carnet d’adresses à la promotion du patrimoine historique et culturel français, tant en France qu’à l’étranger. Jean d’Orléans donne des conférences – notamment aux Etats-Unis, où l’image d’un prince de France est un sésame qui ouvre de nombreuses portes -, et il monte des opérations de mécénat à partir des contacts qu’il a noués. En ce moment, par exemple, il suit un dossier de financement pour une exposition Boulle qui doit se tenir à Francfort l’an prochain.

Au cours de la décennie écoulée, il a sillonné la France au rythme de dix déplacements par an. Lors de ces visites, il a des entrevues avec les acteurs locaux – chefs d’entreprise, responsables culturels, militants associatifs – et avec les élus. Du moins ceux qui acceptent de le recevoir. Jean d’Orléans conserve le souvenir d’entretiens fructueux avec Jean-Claude Gaudin ou Pierre Mauroy, comme avec Hervé Schiavetti, maire communiste d’Arles : «Je l’ai rencontré dans une dimension concrète, plus proche de la vraie politique, celle qui est au service des personnes.» Mais le prince a également effectué de nombreux voyages organisés pour lui à l’étranger. Au Liban, il a été reçu comme un successeur de Saint Louis, et au Québec, comme un héritier du roi (François Ier) qui envoya Jacques Cartier en Amérique. Au Maroc, Mohammed VI n’a pas oublié l’amitié qui liait son père, Hassan II, à feu le comte de Paris, grand-père du duc de Vendôme.

Pour soutenir son action, Jean d’Orléans a fondé Gens de France, une association qu’il préside et qui développe quatre axes de travail : le patrimoine, l’environnement, la francophonie, l’économie sociale – avec l’accent mis sur les problèmes du handicap. Autour du futur chef de la maison de France gravitent quelques discrets cercles d’influence, où se retrouvent des gens ayant des positions dans l’industrie, les finances, la haute administration ou l’université.

Il ne se voit pas comme un concurrent des hommes politiques. «Leur vie, observe-t-il, est rythmée par les élections. J’ai la liberté de n’avoir pas cette dépendance: je m’occupe du long terme.» Comment se définit-il alors ? «Je pense comme un prince chrétien et j’agis comme un prince français. Un prince chrétien, parce que ce sont mes racines, mes convictions, l’air que je respire. Un prince français, parce que, ancré dans notre société, j’aspire à y jouer un rôle, fondé sur la relation entre une lignée qui a fait naître un pays et la réalité actuelle de ce pays.»

Jean d’Orléans a vécu douloureusement les vicissitudes de sa famille, jusqu’à la dispersion chez Christie’s, tout récemment, des souvenirs de ses grands-parents, le comte et la comtesse de Paris. Aujourd’hui, il tourne la page. Celle qui va devenir la duchesse de Vendôme lui apporte un nouveau souffle. Née à Vienne en 1977, Philomena de Tornos cultive la vivacité des Espagnols et la convivialité des Autrichiens. Elle parle couramment le français, l’allemand, l’anglais, l’espagnol et l’italien, et se débrouille très bien en russe et en arabe. Sportive, passionnée de la mer et du grand large (elle a mené pendant un an la vie des marins pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz), la jeune femme a travaillé pendant cinq ans comme cadre dans une société industrielle française. Cette battante aimerait conserver une activité professionnelle, mais prévient : «Ma famille passera avant tout.»

Son grand-père paternel, Juan de Tornos, fut le secrétaire particulier du comte de Barcelone, fils du roi Alphonse XIII et père de Juan Carlos. Durant les années d’exil des Bourbons au Portugal, ils avaient noué des liens avec les princes d’Orléans, eux aussi exilés. Deux générations plus tard, le destin rattrape Jean d’Orléans et Philomena de Tornos, et dans leurs yeux se lit le bonheur.

Le 19 mars dernier, ils ont été mariés, au nom de la République, par Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement de Paris. Dans son discours, le garde des Sceaux et ministre de la Justice soulignait qu’il est d’usage, pour un édile, d’évoquer l’histoire des familles des jeunes époux. Mais précisait en souriant : «Aujourd’hui, c’est une chose impossible. Comment pourrais-je évoquer l’histoire d’une famille qui, depuis plus de mille ans, est indissociable de l’Histoire de la France?» Et Rachida Dati d’ajouter : «Notre rencontre était improbable. Elle a pourtant lieu aujourd’hui dans cette mairie. Même si nos parcours sont différents, nous partageons les mêmes valeurs: la volonté de servir notre pays et ses habitants, la fidélité à nos convictions et à nos engagements.»

Dans ce bel hommage d’une Française issue de « la diversité » à un prince qui peut se dire français depuis un millénaire, Jean d’Orléans voit la preuve de ce à quoi il peut servir : être un pont entre la tradition et la modernité, un passeur, un facteur d’unité dans l’espace et le temps. Sitôt revenu de voyage de noces, il mettra la dernière main au livre qu’il publiera à la rentrée, afin de présenter «quelques idées fortes» et d’ouvrir «quelques perspectives». Le titre est déjà choisi : Un prince français.

Jean Sévillia

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