Un portrait de Chantal Delsol

Chantal Delsol aura publié quatre livres en 2008 : un roman et trois essais. En quelques années, cette philosophe « néo-conservatrice » s’est imposée dans le paysage des idées.

Il y a quelques mois, il était de bon ton d’appeler à mettre les Jeux olympiques en quarantaine. Dans une tribune du Figaro, une voix ne craignait cependant pas de se singulariser : « Faut-il boycotter les pays qui ne nous ressemblent pas ? », s’interrogeait Chantal Delsol. La philosophe rappelait qu’à vouloir que toutes les civilisations lui soient semblables, l’Occident mène des combats perdus d’avance. Et pourtant, qui aurait pu accuser Chantal Delsol d’indifférence envers les persécutés de tous genres ? Il y a trois ans, cette libérale fut un des premiers soutiens du philosophe Robert Redeker, menacé par des islamistes, et au printemps dernier, elle s’est faite l’avocate de Sylvain Gouguenheim, historien victime d’une cabale pour propos non conformes à l’air du temps. Mais Chantal Delsol pratique la philosophie comme une discipline : elle réfléchit avant d’agir.

On lit ses chroniques dans Le Figaro ou Valeurs actuelles. Cette année, elle a été reçue à l’Académie des sciences morales et politiques. Quatre livres auront paru sous sa signature en 2008. En janvier, un roman : l’histoire d’une aventure scientifique en Guyane (1). En avril, un ouvrage collectif, codirigé avec Matthieu Grimpret, une déconstruction de Mai 68 (2). En juin, un essai sur le populisme (3). Et en septembre, elle publie un traité d’anthropologie (4).

Chantal Delsol s’est peu à peu imposée dans le paysage des idées. Si elle rend hommage à la curiosité d’esprit de son milieu d’origine – son père était professeur de biologie -, ses convictions étaient trop traditionalistes pour son goût. En comparaison, avec ses positions libérales, elle passait pour « la gauchiste de la famille ». Néanmoins, née à droite, elle restera à droite. En 1968, elle milite contre le mouvement de Mai. Etudiante en philosophie, elle s’oriente vers une carrière dans l’enseignement supérieur. En vue de son doctorat, elle prépare une thèse sous la direction de Julien Freund, un des rares mandarins non marxistes de l’époque, d’ailleurs ostracisé. Le terrorisme intellectuel, Chantal Delsol le rencontrera directement plus tard, quand elle sera devenue l’épouse de Charles Millon.

Professeur de philosophie à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée, elle y a fondé le Centre d’études européennes, rebaptisé Institut Hannah Arendt. Cette dernière figure clôt la liste de ses références tutélaires, où voisinent Aristote, Montesquieu, Tocqueville ou Simone Weil. Aux éditions de la Table Ronde, elle dirige une collection, « Contretemps », où elle publie Leo Strauss, Dominique Folscheid, Francis Fukuyama, André Grjebine ou Jacques Ellul. Ces auteurs peuvent se rattacher, comme elle, à un large courant « libéral néo-conservateur ».

Depuis quinze ans, Chantal Delsol a rédigé une série d’essais marquants, où ceux qui résistent à la futilité du temps font leur miel : L’Irrévérence (1993), Le Souci contemporain (1996), Eloge de la singularité (2000), La Grande Méprise (2002). Contre les deux mystiques – contradictoires, mais finalement convergentes – de la fusion dans le grand tout ou de la dissolution dans l’indifférenciation, elle y défend le droit à la particularité, dans le respect des valeurs transmises et des règles de vie collectives.

Chassez le naturel, il revient au galop : les romans de Chantal Delsol (elle en a écrit quatre), derrière la fiction, visent au sérieux. Dans L’Enfant nocturne (1991), parlant d’expérience, elle évoque l’adoption : cette mère de cinq enfants en a adopté un sixième, un garçon d’origine laotienne. Dans Matin rouge (2004), elle raconte la jeunesse incroyable de son ami Illios Yannakakis, un des auteurs du Livre noir du communisme qui, jeune Grec né au Caire, fils du fondateur du Parti communiste égyptien, fut enlevé de force à ses parents, après la guerre civile en Grèce, et envoyé en rééducation en Tchécoslovaquie.

Si le système soviétique s’est effondré il y a vingt ans, Chantal Delsol, rétrospectivement, est aussi anticommuniste qu’avant. Il lui en reste un lien profond avec les anciens pays de l’Est, que cette Européenne convaincue met au service d’échanges avec ses pairs. De Marne-la-Vallée à Prague, et de cours magistraux en colloques, l’Institut Hannah Arendt fait intervenir des chercheurs de 20 nationalités, en privilégiant l’Europe centrale et orientale.

Ce regard au-delà des frontières a récemment conduit Chantal Delsol à analyser un phénomène politique diffus qu’il est convenu de nommer populisme. Dans cet essai, une fois de plus, la philosophe refuse de hurler avec les loups, en abordant les sujets qui fâchent. « L’accusation de populisme, remarque-t-elle, exprime une sourde haine que l’élite contemporaine peut nourrir à l’égard du peuple. »

Son dernier livre, qui paraît dans quelques jours, se demande si l’on peut « dire quelque chose de stable sur l’homme », qui soit « valable dans le temps et dans l’espace ». Oui, répond l’auteur. L’homme est mortel, mais supporte cette condition parce que la société est immortelle ; l’homme pose la question du bien et du mal ; il transmet, chacun naissant avec un héritage qu’il n’a pas choisi ; l’homme est fait pour l’échange et le don, relation qui postule la différence ; il éprouve à la fois le besoin d’enracinement et d’émancipation.

Chantal Delsol croit donc à l’existence d’une nature humaine immuable. Ce constat, chez cette catholique convaincue, mêle la lucidité à l’espérance.

Jean Sévillia

1) L’Expédition Janus, Editions du Rocher.

2) Liquider Mai 68 ?, Presses de la Renaissance.

3) La Nature du populisme ou Les Figures de l’idiot, Editions Ovadia.

4) Qu’est-ce que l’homme ? Cours familier d’anthropologie.

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