Staline le monstre froid

Successeur de Lénine, Joseph Staline a régné sans partage sur l’Union soviétique de 1929 à 1953. Bolchevique de la première heure, ce dictateur est responsable d’innombrables crimes contre l’humanité.

S’il n’était pas mort, Georges Frêche aurait-il été jusqu’au bout de son projet ? Aux statues qu’il avait fait installer à Montpellier (Jaurès, de Gaulle, Churchill, Roosevelt et Lénine), il voulait ajouter Staline. L’ancien maire de la ville, capable de toutes les provocations, brandissait un argument : «Sans lui, on n’aurait pas gagné la Seconde Guerre mondiale.» Du vivant du dictateur soviétique, c’est pour cette raison que l’Occident faisait silence sur ses crimes : 7 millions de déportés de 1929 à 1953, 6 millions de morts de famine entre 1931 et 1933 et 1 million en 1947, 1,8 million de morts en camp de 1929 à 1953, et 1 million de fusillés de 1929 à 1953, dont 750 000 en 1937-1938…

Il y a huit ans, Simon Sebag Montefiore, un historien britannique, spécialiste de la Russie, avait publié à Londres une remarquable biographie de Staline. Traduite en 25 langues, parue en français en 2005, cette somme – ouvrage de référence, mais d’une lecture aisée – est désormais disponible au format de poche (1). Edvard Radzinsky, un homme de théâtre et de télévision russe, est aussi l’auteur de best-sellers historiques. On lui doit notamment un Nicolas II (2002) et un Alexandre II (2009) qui ont été publiés en français. A partir de divers fonds d’archives et de témoignages de proches et de survivants, il a écrit un livre qui constitue une introduction à la vie de ce monstre froid que fut Joseph Staline (2).

Né le 6 décembre 1878 (il se rajeunira d’un an dans ses biographies officielles), Joseph Djougachvili, surnommé Sosso par sa mère, est originaire de Gori, en Géorgie. Son père est un cordonnier alcoolique et violent, qui bat sa femme : on murmure qu’elle se console avec le parrain du garçon, qui serait son vrai père. Entré à 16 ans au séminaire de Tiflis, le jeune Joseph se montre d’abord bon élève. Cinq ans plus tard, devenu athée et marxiste, il refuse de passer ses examens. Exclu du séminaire, Joseph Djougachvili ne sera pas prêtre, mais il adorera une divinité : la révolution.

Sous le pseudonyme de Koba, il entame une carrière d’agitateur, organisant des grèves et n’hésitant pas à braquer des banques afin de renflouer les caisses du Parti social-démocrate, auquel il a adhéré dans la fraction bolchevique. En 1905, en Finlande, il fait la connaissance de Lénine. L’année suivante, il est l’instigateur de l’assassinat du gouverneur militaire du Caucase. En 1907, à la suite d’un nouveau hold-up, il est arrêté. Condamné à l’exil intérieur, il s’évade et rejoint sa femme à Bakou. Epousée trois ans plus tôt, elle ne résistera pas à une épidémie de choléra, en 1909, mort qui affectera sincèrement Koba et le poussera un peu plus dans l’engagement radical. Cinq fois arrêté, cinq fois évadé de Sibérie, ce révolutionnaire professionnel, membre du Comité central du parti, adopte un nouveau surnom : Staline, « l’homme de fer ».

De nouveau déporté en 1913, il se trouve en Sibérie quand éclate la révolution de février 1917. Libéré, Staline gagne Saint-Pétersbourg où il se range dans le sillage de Lénine, sans jouer toutefois de rôle important au moment de la révolution d’Octobre. En 1918, chargé de réquisitionner du blé, il fait incendier les villages récalcitrants et fusiller leurs habitants. La même année, la Géorgie et la Transcaucasie ayant pris leur indépendance à la faveur de la révolution, il en assure la reconquête militaire.

En 1922, quand Lénine est frappé d’une attaque cérébrale, Staline se présente comme le dépositaire de sa pensée. Lorsque le fondateur du bolchevisme disparaît, en 1924, une lutte au couteau s’engage pour sa succession. Associé à Kamenev et Zinoviev, Staline évince d’abord Trotski. Un an plus tard, il écarte à leur tour Zinoviev et Kamenev. En 1929, ayant placé ses vassaux au Politburo, il est le maître du Kremlin, tout en devenant le dirigeant du mouvement communiste international. Parfait léniniste, Staline va gouverner selon les principes de son mentor : parti unique, chef unique, liquidation des opposants. A l’occasion de son cinquantième anniversaire, celui qu’on va appeler le « Petit Père des peuples » institue le culte de la personnalité. «Devenu tsar, écrit Edvard Radzinsky, il a décidé d’être en même temps un dieu. Ainsi se crée la Sainte-Trinité bolchevique: Marx, Lénine et lui. Les dieux de la terre.»

La suite, on la connaît : systématisant le caractère totalitaire du parti-Etat communiste, le tyran, dont les historiens soulignent le sadisme personnel, met au point une mécanique politique et policière qui va broyer des millions d’êtres. Répression de masse, dékoulakisation, camps de concentration, travail forcé, purges : l’Union soviétique est une vaste prison où tous ont peur de tous.

Allié à l’Allemagne nazie en 1939, Staline est surpris, en 1941, quand la Wehrmacht attaque. Devant la déroute de l’Armée rouge, il doit faire appel au patriotisme russe, et même sortir quelques popes du goulag, afin de mobiliser son peuple. Après la guerre, la terreur reprend de plus belle, se teintant d’antisémitisme lors du complot des blouses blanches. Il faut lire les pages hallucinantes où Simon Sebag Montefiore décrit la mort du dictateur, en 1953, et les règlements de compte au sein de sa garde rapprochée dont faisait partie Khrouchtchev, qui lui succédera. «Ils avaient tous du sang sur les mains», souligne l’auteur.

Georges Frêche avait raison : c’est avec Staline que l’Ouest a gagné la guerre contre Hitler. Il oubliait cependant de préciser que cette victoire, si nécessaire, avait été remportée, à l’Est, par un autre criminel contre l’humanité. Ce sont les paradoxes de l’Histoire.

Jean Sévillia

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques