Pierre Péan se sent une âme de chouan

Inattendu : le célèbre journaliste, auteur de multiples best-sellers et de révélations fracassantes, vient d’enquêter sur les guerres de Vendée. Défendant les insurgés de 1793.

C’était le 7 nivôse an II, soit le 27 décembre 1793 du calendrier grégorien, alors abandonné. Une odeur pestilentielle flottait sur Maumusson… » Ces lignes ouvrent le dernier livre de Pierre Péan (1). L’odeur en question, c’était celle de la mort. Le 23 décembre 1793, dans les marais de Savenay, au nord de la Loire, les débris de l’armée vendéenne avaient été liquidés. Par une lettre adressée à la Convention, le général Westermann avait rendu compte : « J’ai écrasé les enfants sous les pieds de mes chevaux, massacré les femmes qui n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. » A Maumusson, comme dans toute la région, les soldats de la République étaient chargés de récupérer les cadavres en décomposition. Deux siècles plus tard, Péan en frémit encore.

Maumusson, proche d’Ancenis, entre l’Anjou et la Bretagne, compte actuellement 900 habitants. Pierre Péan connaît bien le village : il y vit une partie de l’année, y a même été élu conseiller municipal. Mais le coin lui est d’autant plus familier que ses aïeux maternels en sont originaires. A 70 ans – cela ne se voit pas sur son visage -, il se rappelle les histoires que sa mère lui racontait quand il était enfant. Des histoires de cette guerre qui, à partir de 1793, ensanglanta la France de l’Ouest. D’un côté, un Etat qui avait mis « la Terreur à l’ordre du jour », de l’autre, des bandes mal équipées, où combattaient fraternellement des hobereaux et des paysans dont les chefs s’appelaient Ceur de Lion ou Monte-à-l’Assaut.

Une âme de chouan sommeillerait donc chez Pierre Péan ? « Le sujet me passionne depuis longtemps », confie-t-il. C’est une surprise. Depuis un quart de siècle, il s’est acquis une célébrité en s’attaquant à des dossiers contemporains des secrets des pétroliers aux scandales africains et, avec succès, à des sujets qui fâchent : son livre sur la jeunesse de François Mitterrand (2) ou celui avec lequel il plongea dans les coulisses d’un célèbre quotidien (3) ont connu des tirages record. Et lui ont offert la liberté de vivre de sa plume. Habitué des révélations brûlantes et des procès retentissants, Péan n’était donc pas attendu sur « les soulèvements populaires dans l’Ouest sous la Révolution », sous-titre de l’ouvrage qu’il publie aujourd’hui. « J’ose, crâne- t-il. En acceptant le risque de n’être pas compris, et de me faire traiter de réac, moi qui suis républicain. »

Il y a un peu plus de vingt ans, après avoir essuyé deux attentats à la suite d’un document consacré aux « affaires » du continent noir (4), il avait éprouvé le besoin de prendre du champ. « Je me suis intéressé aux légendes de ma mère », se rappelle-t-il. Il avait donc écrit Les Chapellières (5), un récit qui se déroulait en pays chouan, et dont Serge Moati tirera un téléfilm, Olympe de nos amours, diffusé en 1989. Pour cet ouvrage, Péan avait travaillé aux archives de Nantes. Depuis, le goût des vieux papiers ne l’a plus quitté. « J’achète des livres, des documents, je cours les ventes aux enchères », explique-t-il. Et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé à collectionner les documents sur les guerres de Vendée.

C’est donc en enquêteur, comme pour ses autres livres, qu’il a conçu Une blessure française. On y découvre une contrée, dont les frontières dépassent l’actuel département de la Vendée, qui accueille la Révolution avec espoir, en 1789 et 1790, puis qui juge d’un eil de plus en plus inquiet la politique antireligieuse menée par Paris, en 1791 et 1792, et qui s’insurge, en 1793, quand la conscription lui est imposée et que la Terreur, devenue une méthode de gouvernement, persécute le catholicisme.

Pierre Péan évoque une discussion avec José Bové. Ce dernier, à la suite de Bernard Lambert, héraut des jacqueries paysannes des années 1970, regarde la chouannerie comme une « révolte populaire », dirigée contre la bourgeoisie des villes. C’est aussi l’axe du livre de Péan. « Je ne suis pas historien », reconnaît-il. Déclarant néanmoins s’inscrire dans la lignée de Charles Tilly, de Paul Bois, de Roger Dupuy ou de Jean-Clément Martin chercheurs qui ont en commun d’expliquer la révolte de l’Ouest par des facteurs sociaux, et de minimiser et l’ampleur de l’insurrection et le nombre de victimes. Hiatus ? Serait-ce parce qu’ils sont classés à droite que Reynald Secher ou Alain Gérard, spécialistes des guerres de Vendée, ne figurent pas dans sa bibliographie ? L’écrivain, tout en soulignant les motifs religieux de l’insurrection, déplore que les chouans aient été « manipulés » par les défenseurs du trône. La vérité, pourtant, c’est que, dès le début, les paysans de Vendée se sont librement enrôlés sous la bannière de l’« Armée catholique et royale », et que ce sont eux qui ont tiré les nobles de leurs manoirs afin de leur servir d’officiers.

« C’est une passion compliquée », confesse Pierre Péan, un peu gêné. Difficile, en effet, de se dire de gauche, comme il le fait, et d’accepter l’idée que, pendant la Révolution, le peuple ait pu se révolter contre un pouvoir exercé au nom du peuple. Et cependant, il le sait, et c’est ce qui l’a poussé à écrire : « Il y a eu des souffrances énormes, incalculables. C’était il y a très longtemps, mais la blessure est toujours là. »

Dans ce registre, Péan n’a pas fini de surprendre. Il a un autre livre en projet : un récit de l’épopée de la duchesse de Berry. Belle-fille de Charles X, celle-ci déclencha la dernière chouannerie, en 1832, aventure qui se soldera par un piteux échec. « La fin d’un monde », commente Pierre Péan, avec un brin de nostalgie dans la voix. Ajoutant, comme pour se justifier : « C’est ma récréation, mon rêve. »

Jean Sévillia

(1) Une blessure française, de Pierre Péan, Fayard, 2008.

(2) Une jeunesse française, Fayard, 1994.

(

3) La Face cachée du Monde, avec Philippe Cohen, Mille et une nuits, 2003.

(4) Affaires africaines, Fayard, 1983.

(5) Albin Michel, 1987.

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