Mémoire coloniale

Jean de La Guérivière ressuscite la fascination que les possessions françaises d’outre-mer exerçaient jadis sur les coloniaux.

     En 2011, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) gagnait un procès en appel contre la société propriétaire de la marque Banania. A l’origine de la procédure se trouvait l’accusation selon laquelle la célèbre publicité associant la formule Y’a bon et un Noir, publicité pourtant abandonnée en 1977, « participait de la structuration de stéréotypes et de clichés qui ont prospéré dans le contexte colonial français ».
     Jean de La Guérivière, qui rappelle cette affaire, connaît bien l’ancien monde colonial : il a été pendant vingt-cinq ans journaliste au service étranger du Monde, arpentant l’Afrique et l’Asie pour un quotidien dont il ne partageait néanmoins pas les présupposés. De cette expérience, il a tiré une série de livres qui, sans verser dans la légende rose, ressuscitent la fascination que les possessions françaises d’outre-mer exerçaient jadis sur les coloniaux qui vivaient à Dakar, à Hanoï ou à Pondichéry : Les Fous d’Afrique, Amère Méditerranée, Indochine, l’envoûtement.
L’auteur revient sur le sujet avec un livre merveilleusement illustré, dont le titre, Colonisation, sonne comme une provocation. Mais La Guérivière se garde bien d’y verser dans la caricature. S’il recourt aux « stéréotypes et clichés » qui déplaisent tant aux professionnels de l’antiracisme, c’est souvent pour les déconstruire par l’humour ou l’émotion. Au demeurant, l’ambition affichée ici n’est pas d’écrire une histoire de la colonisation, mais de raconter des histoires ayant trait à la période coloniale de la France et à son héritage, à travers de constants allers et retours entre hier et aujourd’hui.
     « Qui se souvient du Sandjak d’Alexandrette ? » demande ainsi l’auteur, rappelant que ce territoire peuplé de Turcs avait été rattaché à la Syrie sous mandat français, en 1918, avant d’être cédé à la Turquie, en 1939, et d’en devenir la province du Hatay. Or au printemps 2013, par effet collatéral de la guerre en Syrie, une voiture piégée a explosé dans une bourgade du Hatay, devant un bureau de poste portant encore l’inscription « PTT », lointain legs du Sandjak d’Alexandrette… N’en déplaise aux vigilants, les traces de l’aventure coloniale française n’ont pas disparu partout.

Jean Sévillia

Colonisation. Carnets romanesques, de Jean de La Guérivière, Editions Bibliomane, 282 p., 100 illustrations en couleur, 25 €.

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