Les héros du 20 juillet 1944

Au moment où sort « Walkyrie », le film qui met en scène l’attentat raté contre Hitler, de nombreux livres brossent le portrait de Stauffenberg et relatent un complot qui aurait pu changer le cours de l’Histoire.

Le 20 juillet 1944, Claus von Stauffenberg décolle de Berlin pour se rendre au quartier général de Hitler, la Wolfschanze (« la Tanière du loup »), en Prusse-Orientale. Alors chef d’état-major du commandant en chef de l’armée intérieure, le colonel doit assister à une conférence d’état-major présidée par le Führer. Son aide de camp transporte avec lui deux charges d’explosif. A leur arrivée, ils apprennent que la réunion a été avancée d’une demi-heure. Il faut faire vite. Déclarant vouloir se changer, Stauffenberg s’isole avec son aide de camp. L’irruption d’un sous-officier dans la pièce où ils se sont installés les empêche d’activer la totalité de l’explosif. Dans la salle de conférences, l’officier dépose sous la table la serviette qui contient la bombe, puis, au prétexte d’un appel téléphonique, quitte la réunion, puis la Tanière du loup.

Quelques minutes plus tard, c’est l’explosion. Treize personnes seront tuées ou gravement blessées. Parmi les rescapés, il y a Hitler, à peine contusionné. Rentré à Berlin, Stauffenberg, persuadé d’avoir atteint sa cible, déclenche l’opération « Walkyrie » : un plan de prise de contrôle du Reich par l’armée en cas d’insurrection. Certaines unités, commandées par des officiers liés au complot, marchent aussitôt. Les autres attendent la confirmation : Hitler est-il vraiment mort ? Il ne faudra que quelques heures pour que le dictateur prenne la parole à la radio.

Le soir même, Stauffenberg est appréhendé et fusillé, en compagnie des têtes du complot. Dans les jours qui suivent, 200 conjurés, civils ou militaires, sont arrêtés, torturés, condamnés à mort. Leurs femmes seront emprisonnées, leurs enfants, regroupés dans des centres de détention spéciaux. L’épuration de la Wehrmacht durera plusieurs mois, touchant plus de 7000 personnes et achevant la nazification de l’appareil militaire allemand.

Pour l’essentiel, Walkyrie, le film de Bryan Singer, relate bien la genèse et le déroulement du 20 juillet 1944. Au-delà du hasard, pourquoi l’affaire a-t-elle échoué ? L’historien britannique Ian Kershaw, dans un récit tiré de la biographie qu’il a consacrée à Hitler, n’hésite pas à parler de « dilettantisme » : trop de paramètres de calendrier, de coordination et de communication ont été négligés (1).

Claus Philipp Marie Schenk, comte von Stauffenberg, est la figure emblématique de cette aventure. Jean-Louis Thiériot, à qui l’on doit des biographies de François-Ferdinand d’Autriche et de Margaret Thatcher, raconte son itinéraire. Vieille aristocratie, esprit patriotique, carrière d’officier : comme des millions de ses compatriotes, Stauffenberg commence par subir l’attraction du nazisme. En 1939 et en 1940, il participe sans état d’âme à l’attaque contre la Pologne et la France. C’est la guerre contre la Russie, à partir de 1941, qui provoque son retournement.

Découvrant les erreurs stratégiques de Hitler et les crimes commis contre la population civile, notamment contre les Juifs de l’Est, l’officier est conduit à ce que Thiériot nomme le « choix d’Antigone » (2). Faisant appel à saint Thomas d’Aquin – qui a défini à quelles conditions une guerre peut être dite juste et dans quel cas tuer un tyran peut être légitime -, ce catholique conclut qu’il faut éliminer Hitler. Dans le film, cette profondeur du personnage, sa dimension spirituelle, est sans doute ce qui manque le plus.

Roland von Hoesslin, lui aussi livré au bourreau, avait suivi Stauffenberg parce qu’il était, explique August von Kageneck, « désespéré de la passivité des généraux devant Hitler » (3). Le complot du 20 juillet 1944, à quelques exceptions près (les généraux Beck, Stülpnagel, Witzleben, Olbricht ou Tresckow), est une entreprise menée par des colonels. Tel Philipp von Boeselager, qui aura l’incroyable chance de n’être pas pris et de survivre à la guerre (4).

Comment les rescapés et les familles ont-elles vécu les suites du complot ? Comment le 20 juillet 1944 a-t-il été reçu dans l’Allemagne de l’après-guerre ? Et aujourd’hui ? L’enquête menée par Jean-Paul Picaper, ancien correspondant du Figaro à Bonn, s’avère à cet égard passionnante. Non seulement l’auteur a interviewé les derniers témoins, mais il expose le long chemin parcouru pour que Stauffenberg et ses amis soient reconnus (5).

Joachim Fest, un historien allemand, montre la diversité des courants de ce qu’on a appelé après coup la « résistance allemande » : militaires, conservateurs, monarchistes, chrétiens-sociaux, libéraux, socialistes (6). Il souligne néanmoins que la seule entreprise sérieuse a été celle du 20 juillet 1944.

Et s’ils avaient réussi ? L’Europe de l’Est n’aurait pas échappé aux Soviétiques, mais la guerre aurait été écourtée, et des millions de victimes – soldats des deux camps, civils et déportés – auraient eu la vie sauve.

Songe-t-on au courage de ces hommes ? Il leur fallait affronter le danger qui menace tout rebelle au sein d’un Etat totalitaire, mais encore passer pour des traîtres, eux dont la vocation était de défendre leur pays. Avant de mourir, Peter von Wartenburg, un des conjurés, écrira ces lignes : « Peut-être viendra un temps qui nous jugera non pas comme des canailles, mais comme des prophètes et des patriotes. »

Jean Sévillia

(1) La Chance du diable, le récit de l’opération Walkyrie, de Ian Kershaw, Flammarion.

(2) Stauffenberg, de Jean-Louis Thiériot, Perrin.

(3) De la croix de fer à la potence, un officier allemand résistant à Hitler, d’August von Kageneck, Perrin, «Tempus».

(4) Nous voulions tuer Hitler, de Philipp Freiherr von Boeselager, Perrin, « Tempus ».

(5) Opération Walkyrie, de Jean-Paul Picaper, L’Archipel.

(6) La Résistance allemande à Hitler, de Joachim Fest, Perrin.

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