Le putsch d’Alger : les centurions du désespoir

C’était il y a 50 ans. Du 22 au 26 avril 1961, la tentative de putsch fomentée par un groupe de généraux attachés à l’Algérie française allait faire vaciller la Ve République.

Le 22 avril 1961, à 7 heures du matin, Radio Alger annonce l’incroyable : l’armée vient de prendre le contrôle de l’Algérie. Au cours de la nuit, légionnaires et parachutistes ont investi les centres névralgiques de la ville. Au siège de l’état-major, les généraux Challe, Jouhaud et Zeller, qui ne sont plus en poste mais qui ont tous exercé des hauts commandements, ont pris les rênes. Leur intention, explique Challe, est de «tenir le serment de l’armée de garder l’Algérie, pour que nos morts ne soient pas morts pour rien».

Revenu au pouvoir à la faveur de la crise algérienne, en 1958, le général de Gaulle a été amené par étapes à négocier avec les représentants en exil du gouvernement provisoire de la République algérienne, alors même que l’armée française faisait victorieusement la guerre contre le FLN, vaincu sur le terrain au printemps 60. Le contexte international n’y était pas pour rien : les indépendantistes jouissaient du soutien de l’ONU et, dans une moindre mesure, des Etats-Unis, ainsi que le montre le livre brillamment documenté de Matthew Connelly, un historien américain (1).

Il reste que de Gaulle avait très probablement pour idée de départ d’accorder l’indépendance à l’Algérie. Le 8 janvier 1961, un référendum approuvant le principe d’autodétermination lui a apporté le soutien de l’opinion. Le 30 mars, les pourparlers d’Evian ont commencé. Le 11 avril, le président de la République a évoqué un «Etat algérien souverain»…

C’est contre ce qu’ils nomment «un gouvernement d’abandon» que se lèvent les putschistes. Mais très vite, ils déchantent. Si le général Salan, venu d’Espagne, les rejoint le 23 avril, les chefs militaires du Constantinois, de la Kabylie et de l’Oranais ne suivent pas. Et à Alger, l’attentisme domine. De son côté, le pouvoir réagit. Pierre Messmer, le ministre des Armées, ordonne de s’opposer à la révolte «par tous les moyens». Louis Joxe, dépêché sur place, s’assure du loyalisme de nombreux cadres. Dans la capitale, Roger Frey, le ministre de l’Intérieur, brise dans l’œuf l’antenne parisienne de la conjuration par une série d’arrestations.

Lors d’un Conseil des ministres extraordinaire qui se tient dans l’après-midi du 22 avril, de Gaulle a cette phrase : «Ce qui est grave en cette affaire, c’est qu’elle n’est pas sérieuse.» Le 23 avril, le président de la République joue cependant le grand jeu. A 20 heures, il intervient à la télévision, sanglé dans son uniforme de général de brigade. Raillant le «pronunciamiento» conduit par «un quarteron de généraux en retraite» et par «un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques», de Gaulle ordonne de leur «barrer la route en attendant de les réduire», et avertit qu’il recourt à l’article 16 de la Constitution, qui lui confère des pouvoirs exceptionnels.

Pierre Abramovici, un journaliste spécialisé dans les enquêtes à sensation, en tire argument, dans un livre qui vient de paraître (2), pour soutenir que le gouvernement avait prévu le putsch de longue date. De Gaulle aurait utilisé l’événement pour renforcer le pouvoir exécutif, d’une part, et pour casser l’armée, d’autre part, afin de réorienter l’appareil militaire français vers une armée de type moderne, appuyée sur la dissuasion nucléaire. Si nombre d’éléments de cet ouvrage disparate sont pertinents, l’auteur force le trait et sa thèse ne convainc pas.

Il faut lire en regard l’étude de Maurice Vaïsse (3), un professeur de Sciences Po, qui montre que, au début du putsch, l’affolement régnait au sommet de l’Etat. En témoigne l’intervention du Premier ministre, Michel Debré, invitant les Français, alors qu’on craignait un débarquement des paras d’Algérie, à aller à leur rencontre, «à pied, en voiture», afin de les convaincre de «leur lourde erreur». Un putsch, au moment où Paris s’apprêtait à accueillir Kennedy, n’avait rien non plus de bon pour l’image de la France.

Qu’espéraient les rebelles ? Garder l’Algérie, certes, mais ils n’étaient pas d’accord entre eux sur les moyens politiques à utiliser. «Les putschistes, souligne Maurice Vaïsse, ne semblent avoir songé ni à une stratégie à long terme ni aux réactions éventuelles de l’opinion française.» En fait, davantage que prendre le pouvoir, les généraux, rêvant d’un nouveau 13 Mai, aspiraient à faire pression sur le pouvoir, illustrant paradoxalement, en dépit de leur insubordination, la tradition légaliste de l’armée française.

Le 25 avril, alors que la Ville blanche est devenue un camp retranché qui fait face au reste de l’Algérie et à la métropole, Challe considère que la partie est perdue. Le lendemain, il se rend. Zeller se cache, mais se livrera dix jours plus tard. Dans les semaines qui suivront, ils seront tous deux condamnés à quinze ans de prison, Hélie de Saint Marc, commandant par intérim du 1er REP, à dix ans de détention criminelle. Jouhaud et Salan, eux, avaient plongé dans la clandestinité et continueront leur combat désespéré au sein de l’OAS, dont l’échec du putsch marque la naissance.{br>

Les journées du 22 au 26 avril 1961 ne furent qu’une péripétie au sein d’un drame plus vaste : la fin de l’Algérie française. Il est facile, rétrospectivement, de sourire de l’amateurisme de ces putschistes qui prétendaient arrêter l’Histoire. Mais comment faire abstraction de ce que déclarera Hélie de Saint Marc lors de son procès : «On peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui demander de se parjurer.»

Jean Sévillia

(1)L’Arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, de Matthew Connelly, Payot.

(2) Le Putsch des généraux, de Pierre Abramovici, Fayard.

(3) Comment de Gaulle fit échouer le putsch d’Alger, de Maurice Vaïsse, André Versaille éditeur

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