Vittorio Messori, journaliste et écrivain italien, fut l’ami de Jean-Paul II et le confident du cardinal Joseph Ratzinger, il y a vingt-cinq ans, pour un livre d’entretiens qui fit du bruit (1). Cet excellent connaisseur de la papauté est bien placé pour commenter le nouveau livre d’entretiens que Benoît XVI publie avec le journaliste allemand Peter Seewald et qui a fait la une de l’actualité en raison d’un passage concernant l’usage du préservatif, alors qu’il aborde beaucoup d’autres thèmes (2).
Le Figaro Magazine – Pourquoi tout ce bruit autour d’une phrase du pape sur le préservatif ?
Vittorio Messori – Ceux qui se plongeraient dans ce nouveau livre pour y chercher une réflexion chrétienne sur la question seraient bien déçus : dans un volume d’environ 270 pages, le passage qui a déclenché cette tempête médiatique représente six lignes. L’ouvrage traite de très nombreux sujets, importants ou légers, des menaces écologiques sur la planète au drame de la pédophilie, du dialogue avec l’orthodoxie aux rapports avec l’islam, de la question Pie XII à l’amitié avec les Juifs, du penchant de Benoît XVI pour les films de don Camillo à son peu de goût pour le sport, mais ce qui a retenu l’attention de la plupart des médias, c’est uniquement cette question du préservatif. Et, comme d’habitude, non pour comprendre la pensée du pape, mais pour lui faire dire ce qu’on veut qu’il dise.
Sur ce sujet, y a-t-il quelque chose de nouveau ?
Peut-être le fait que Benoît XVI en ait parlé très simplement, de façon informelle. Malheureusement, la vieille légende du Panzerkardinal, naguère forgée par les détracteurs du cardinal Ratzinger, n’a pas disparu partout. On voudrait faire du pape un dogmatique sectaire, alors qu’il est personnellement très humble et avide de dialogue, de controverse, à la manière des intellectuels d’autrefois, pour qui le débat d’idées allait au fond des choses. A une question sur le préservatif, il a répondu sans faux-fuyant.
Sur le fond, y a-t-il une rupture par rapport à ce qu’il avait dit en Afrique, l’an dernier, et qui avait déclenché une polémique ?
Non, et d’ailleurs, dans le livre, le pape revient sur ses déclarations de l’époque en maintenant ce qu’il avait affirmé à propos du sida : «Le préservatif à lui seul ne suffit pas à résoudre la question.»
Quel est alors le sens de la phrase de Benoît XVI sur le préservatif, présenté comme «un premier pas sur le chemin d’une sexualité plus humaine» ?
Cette phrase est extrapolée de son contexte par les commentateurs. Le pape évoque un cas précis : celui d’un prostitué masculin qui, contaminé par la maladie, utilise un préservatif pour éviter de transmettre le virus. Il s’agit alors d’un geste d’attention à l’égard du prochain, première étape vers une attitude responsable en matière sexuelle. Le pape, dans le livre, prend le cas d’un homme, mais il aurait pu prendre celui d’une femme porteuse du virus HIV. Benoît XVI recourt ici à la théorie du moindre mal, présente dans la théologie classique depuis saint Thomas d’Aquin : il n’y a rien là de révolutionnaire. Mais pour ce qui concerne la règle générale, le pape réaffirme que l’Eglise ne considère pas le préservatif comme une « solution véritable et morale».
Mais entre l’idéal que prône l’Eglise et la réalité, il y a un fossé…
Le pape le sait mieux que personne. Et d’ailleurs, en prenant ce cas pour illustrer son propos, il prouve qu’il n’est dupe de rien : Joseph Ratzinger connaît bien la nature humaine. Mais l’enseignement de Benoît XVI n’a pas changé et reste identique à celui de Jean-Paul II. Loin de minimiser la dimension sexuelle, l’Eglise souligne son importance. Elle appelle donc à une sexualité conforme à la réalité anthropologique, respectueuse de l’autre, fidèle et ouverte vers la vie. Benoît XVI n’ignore pas que la morale sexuelle catholique est un idéal difficile à suivre. Mais, par définition, un idéal est toujours difficile à suivre. Pour le reste, le pape garde des trésors de charité humaine, parce qu’il est réaliste.
Propos recueillis par Jean Sévillia
(1) Entretien sur la foi, de Joseph Ratzinger, avec Vittorio Messori, Fayard, 1985.
(2) Lumière du monde. Le pape, l’Eglise et les signes des temps, de Benoît XVI, un entretien avec Peter Seewald, Bayard.
Publié le :samedi 27 novembre 2010