Jean Raspail visionnaire

L’Académie française n’a pas voulu de lui, les critiques littéraires le dédaignent, et sa mauvaise réputation n’est plus à faire. Mais Jean Raspail s’en moque, car il possède ce qu’il y a de plus précieux pour un écrivain : des lecteurs. Et des lecteurs, il va en gagner de nouveaux avec la réédition du Camp des Saints.

Publié pour la première fois en 1973, ce roman n’a cessé de poursuivre une carrière souterraine : s’il a été constamment réimprimé depuis, ce sont ses lecteurs, et eux seuls, qui en ont assuré la promotion. Au point que le titre de l’ouvrage – tiré de l’Apocalypse – constitue une sorte de mot de passe pour ceux qui, certains soirs, peinent à espérer dans la marche du monde.

L’histoire ? Partis du Gange, des centaines de bateaux débarquent sur les côtes de Provence, déchargeant une cargaison humaine que rien ne peut arrêter. Les bonnes âmes se précipitent pour les accueillir au nom du respect de « l’Autre » – Big Other, comme s’intitule la préface de cette réédition –, tandis que les autorités, après avoir voulu réagir, finissent par abdiquer, dépassées par le phénomène et paralysées par la mauvaise conscience. Par le biais de la fiction, Raspail décrit le mécanisme au terme duquel l’Europe actuelle ne maîtrise plus l’immigration, mais la subit. Prophétique, ce Camp des Saints ?

Le sujet est devenu sensible : si certaines lois avaient un caractère rétroactif, le texte originel du roman, repris ici à l’identique, pourrait être poursuivi en justice pour 87 motifs. Il y a quarante ans, la parole était plus libre… Des mots heurteront. Les choses, à l’évidence, auraient pu être dites autrement, même en 1973, mais c’est précisément la liberté de l’écrivain Raspail que d’avoir son style.

Un livre raciste ? Faux procès : le Camp des Saints alerte sur les bouleversements culturels induits par les changements de population du Vieux Continent, or la culture n’a rien à voir avec la couleur de la peau. L’auteur est romancier, et non essayiste ou historien. C’est comme un roman qu’il faut lire le Camp des Saints : pour la force qui entraîne jusqu’au bout du récit celui qui ouvre ces pages haletantes.

S’il fallait manifester une réserve, elle porterait sur la fin, si pessimiste. L’Histoire n’est jamais écrite d’avance, Raspail devrait le savoir, mais son imaginaire est habité par les peuples disparus et les causes perdues. Les nations occidentales ont maintes fois prouvé leur capacité à surmonter des situations qui, à vue humaine, paraissaient perdues. L’Europe de demain ne sera pas celle de nos aïeux, c’est certain. Il n’est pas dit, pour autant, qu’elle ne sera plus jamais chrétienne.

Jean Sévillia

Jean Raspail, Le Camp des Saints, Robert Laffont.

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