Himmler, l’âme damnée du Führer

Chef suprême de la SS, responsable de la Gestapo et organisateur de la « solution finale », Heinrich Himmler fut le second d’Adolf Hitler. Une biographie raconte le parcours de ce terrifiant bureaucrate de la mort.

Himmler, connais pas. Si Hitler a été l’objet d’innombrables livres, le factotum de l’entreprise nazie a moins suscité la curiosité des chercheurs. Sans doute parce qu’il n’avait pas la flamboyance faustienne d’un Goering ou le génie démoniaque d’un Goebbels. Et pourtant, Heinrich Himmler, maître absolu de la SS et chef de toutes les polices de l’Allemagne nazie, architecte de la « solution finale » et metteur en œuvre de la terreur qui régna sur l’Europe occupée, fut plus qu’un rouage essentiel du IIIe Reich : à l’apogée de son règne, il fut le numéro deux du régime.

L’historien allemand Peter Longerich, directeur du Centre de recherche sur l’Holocauste et l’histoire du XXe siècle à l’université de Londres, enseigne en Allemagne, aux Etats-Unis et en Israël. Spécialiste de la république de Weimar et de l’Allemagne nazie, il est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, dont un seulement avait été traduit en français (1). Avec cette biographie de Himmler – la première publiée dans notre langue -, cet historien confirme ses qualités : son livre, fruit d’une enquête minutieuse dans tous les fonds d’archives possibles, se lit avec aisance, en dépit de l’horreur qu’inspire le sujet (2).

«Comment un personnage aussi falot a-t-il pu accéder à un niveau de pouvoir aussi exceptionnel?» Page après page, Longerich s’attache à répondre à la question.
Heinrich Himmler vient au monde à Munich, en 1900, dans une famille de la moyenne bourgeoisie. L’enfant est de petite taille et de santé fragile, myope et peu sportif, mais gentil et généreux. En 1917, il obtient une dispense d’âge afin d’être incorporé dans l’armée bavaroise, mais il est démobilisé, en 1918, sans avoir connu le feu. Dans l’Allemagne troublée des années 20, il s’engage dans les corps francs, tout en poursuivant des études d’agronomie qu’il achève, en 1922, avec un diplôme d’ingénieur en poche. En 1928, il épouse une infirmière protestante divorcée, dont il aura une fille. Au début de la guerre, le couple s’étant séparé, le père aura deux autres enfants naturels d’une liaison avec une de ses secrétaires.

Ami avec Ernst Röhm, qui l’a converti à ses idées, Himmler adhère en août 1923 au Parti national-socialiste. Trois mois plus tard, il prend part à la tentative de putsch de Munich, à la suite de laquelle Hitler est emprisonné. Libéré en 1924, l’agitateur refonde son parti. Himmler, dont les talents d’organisateur sont remarqués, en gravit les échelons. En 1926, déjà membre de la SA que dirige Röhm, il est nommé chef de la SS de Haute-Bavière. En 1929, il en devient le chef suprême (Reichsführer) et entreprend d’en faire le corps d’élite du nazisme, dont les membres, recrutés sur des critères raciaux, doivent une fidélité inconditionnelle à Hitler.

Himmler a confié à Reinhard Heydrich, son bras droit, le soin de créer un service de renseignements interne au parti, qui espionne même Goering ou Goebbels et qui continue de fonctionner après la prise du pouvoir par Hitler, en 1933. Avec le concours de Heydrich, le dirigeant de la SS persuade le chancelier du Reich que la SA conspire contre lui : en 1934, au cours de la Nuit des longs couteaux, Röhm et son état-major sont liquidés. Ainsi n’y a-t-il plus d’obstacle entre Himmler et le Führer, devenu son dieu. Mais son ascension se poursuit : patron de la Gestapo en 1934, il fait écarter les généraux de la Wehrmacht qui lui sont hostiles, en 1938, ouvrant la voie à la nazification de l’appareil militaire allemand.

Peter Longerich expose les étapes qui mènent à la guerre et le rôle qu’y joue son personnage. A partir du déclenchement du conflit, la violence SS se déploie dans toute sa sauvagerie. La Pologne vaincue, l’URSS attaquée, Himmler veut «détruire 30millions de Slaves». Longerich souligne comment l’apprentissage du meurtre de masse prélude à la suite. Lorsque les Einsatzgruppen tuent d’une balle un million de Juifs de l’Est, Himmler est là pour encourager ses troupes. Quand il voit un corps qui bouge encore au fond d’une fosse, il demande, monstre froid parmi les monstres froids, qu’on l’achève : toujours le souci du travail bien fait… Le 17 juillet 1942, visitant Ausch-witz, il assiste à une séance de gazage et approuve cette technique qui est rapide et peu fatigante pour ses hommes. Deux jours plus tard, il ordonne au responsable de la police et de la SS en Pologne de «vider le territoire de tous ses Juifs».

Tout cela se déroule, si l’on ose dire, sans éclat particulier. Himmler est un fonctionnaire, un bureaucrate qui fait donner la mort à des millions d’êtres humains, comme s’il s’agissait d’une tâche quelconque faisant partie de sa mission : on songe à la «banalité du mal» dont parlait Hannah Arendt. Cette déshumanisation de l’autre prend sa source dans la foi nazie : le Reichsführer croit dur comme fer au culte païen de la force, au mythe du sang et de la race, à la supériorité des Germains et aux calembredaines de la pureté aryenne, dont il fait chercher les traces jusqu’au Tibet.

A la fin de la guerre, après avoir vainement tenté de négocier avec les Alliés pour sauver sa peau, Himmler se cache. Fait prisonnier, il se suicide au cyanure le 23 mai 1945. Sa fin, telle que la raconte Longerich, n’a même pas de panache. L’auteur souligne que son fanatisme fut «un bouclier derrière lequel il lui fut possible d’assouvir ses penchants, tout en dissimulant ses faiblesses». Insignifiant, frustré, même pas courageux, Himmler fut un criminel majeur du XXe siècle. Même si c’est pour le pire, qu’il soit parvenu à être un acteur de son temps reste une lancinante brûlure de l’Histoire.

Jean Sévillia

(1) «Nous ne savions pas ». Les Allemands et la Solution finale, 1933-1945, de Peter Longerich, Editions Héloïse d’Ormesson, 2008. Traduit de l’allemand par Raymond Clarinard.

(2) Himmler, de Peter Longerich, Editions Héloïse d’Ormesson. Traduit de l’allemand par Raymond Clarinard.

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