La polémique provoquée par la façon dont les propos de Benoît XVI
ont été déformés dans les pays musulmans a relancé la violence
contre les chrétiens. Une réalité trop souvent occultée.
Lundi dernier, en recevant à Castel Gandolfo une vingtaine d’ambassadeurs de pays musulmans représentés auprès du Vatican, Benoît XVI a invité chrétiens et musulmans à « travailler ensemble », « pour se garder de toute forme d’intolérance et s’opposer à toute manifestation de violence ». « Le dialogue continue », a commenté Mohamed Nour Dachan, président de l’Union des communautés et organisations musulmanes d’Italie.
La rencontre prenait place dans les initiatives lancées tous azimuts par la diplomatie du Saint-Siège afin de déminer une situation explosive. Même si le discours prononcé par le souverain pontife, le 13 septembre, à l’université de Ratisbonne, sur les rapports entre la foi et la raison, n’avait pas le sens qu’on lui a prêté et ne concernait que très incidemment l’islam, la manipulation a fonctionné : tout le monde a vu des images de fanatiques appelant au meurtre contre les chrétiens. Un mot d’ordre que certains ont aussitôt appliqué. Le 17 septembre, à Mogadiscio, une religieuse italienne de 70 ans, soeur Leonella Sgorbati, a été tuée avec son garde du corps somalien. Les tribunaux islamiques ont condamné l’assassinat, mais un imam local avait auparavant appelé à « se venger » du pape.
En Afrique, en Orient, dans le sous-continent indien ou en Asie, si les chrétiens – catholiques ou non – connaissent des situations qui varient d’un Etat à l’autre, ils se trouvent néanmoins placés, par l’histoire et par la géographie, dans des zones où ils subissent parfois la guerre, souvent les difficultés économiques, et toujours la radicalisation de l’islam. Au Moyen-Orient, des communautés bimillénaires, fondées par les premiers apôtres, se heurtent à des difficultés croissantes. Joseph Yacoub, professeur à l’université catholique de Lyon et spécialiste du sujet, résume leur état d’esprit : « Les chrétiens vivent désormais dans la crainte de ne plus être chez eux. » A telle enseigne que beaucoup se contraignent à l’exil. De 60 000 à 100 000 chrétiens auraient quitté l’Irak depuis la chute de Saddam. A Bethléem, où ils représentaient 75 % de la population en 1950, ils ne sont plus que 25 % : la ville natale du Christ est aujourd’hui à dominante musulmane. Ceux qui partent sont les plus riches. Les autres n’en ont pas les moyens, et regardent l’avenir avec angoisse.
Au mois de mars dernier, l’association Aide à l’Eglise en détresse (AED) * a publié un rapport sur les « Persécutions antichrétiennes dans le monde ». L’auteur du document, le journaliste Thomas Grimaux, y recense, pays par pays, les actes criminels perpétrés contre les chrétiens. L’AED est catholique (elle dépend du Saint-Siège, avec pour mandat « le service de la charité fraternelle envers les Eglises locales les plus souffrantes et nécessiteuses »), mais son rapport 2005, tout naturellement, comptabilise les faits de persécution subis aussi par les orthodoxes et les protestants. Toutes les discriminations antichrétiennes, « sanglantes » (attentats et agressions physiques) ou « sournoises » (discriminations politiques, administratives et sociales), y sont consignées. Le rapport donne à chaque pays une cote, jugeant l’évolution de la liberté religieuse et des actes de persécution.Ue réalité qui, en France du moins, soulève une indignation bien discrète…
Le fondamentalisme islamique, qu’il provienne d’Etats ou de réseaux terroristes, est à l’origine d’un très grand nombre de violences contre les chrétiens. En 2005, le sang a coulé en Egypte, en Irak, au Liban, en Turquie, au Pakistan, en Inde, aux Philippines, en Indonésie, au Nigeria, au Soudan, en Somalie, au Yémen ou au Bengladesh (450 attentats à la bombe, dans ce pays, pour la seule journée du 17 août 2005). En Arabie saoudite, le christianisme est interdit : Thomas Grimaux rappelle que cet Etat, « qui finance amplement la construction de mosquées à travers le monde, ne permet toujours pas la construction d’une chapelle ». En Tanzanie, au Cameroun et au Tchad, on observe des conversions forcées à l’islam
Cependant le fanatisme hindou ou bouddhiste n’est pas en reste : en Inde (où « on ne peut recenser tous les actes antichrétiens ») comme au Sri Lanka, le rapport de l’AED pointe attentats et assassinats contre catholiques et protestants.
Troisième source de persécution antichrétienne : le marxisme. Il sévit toujours en Chine (où, en dépit d’un certain dégel, on relève des arrestations d’évêques et de prêtres), au Vietnam ou en Corée du Nord : la BBC, en 2004, a cité le chiffre de 10 000 chrétiens emprisonnés dans ce pays. Il faut encore mentionner les guérillas d’Amérique latine : en Colombie, les Farc ont assassiné plus de 60 évêques et prêtres en 2005.
Pour 2006, la liste tragique s’allonge en permanence. Le 5 juillet, en Ethiopie, un musulman converti au christianisme a été crucifié par une foule en délire. Les 7 et 12 août, dans un village du Pakistan, les familles chrétiennes ont été attaquées, puis leur église a été détruite. Le 20 septembre, au Nigeria, dix églises et des commerces appartenant à des chrétiens ont été brûlés.
Benoît XVI le rappelait il y a peu : « Dans différentes parties du monde, professer la foi chrétienne demande l’héroïsme des martyrs. » Dimanche dernier, lors de l’Angélus, le pape a rendu hommage à soeur Leonella Sgorbati : « Cette soeur, qui depuis de longues années servait les pauvres et les petits en Somalie, est morte en prononçant les mots «je pardonne» : voilà le plus authentique témoignage chrétien, signe pacifique qui démontre la victoire de l’amour sur la haine et le mal. »
Jean Sévillia
* Aide à l’Eglise en détresse (AED), 29, rue du Louvre, 78750 Mareil-Marly (01.39.17.30.10) ; www.aed-france.or