Regroupement familial : un débat interdit ?

Poser la question de l’immigration familiale, comme l’a proposé Manuel Valls, serait une rupture historique.

     La question du regroupement familial peut être posée », déclarait Manuel Valls le 20 août, au lendemain du séminaire gouvernemental. Provocation calculée ? Le ministre sait que la majorité de la population, même parmi les électeurs de gauche, estime qu’il y a un problème, en France, avec une immigration que plus personne ne semble capable de maîtriser.
     Le 3 juillet 1974, alors que Valery Giscard d’Estaing est président de la République et Jacques Chirac, Premier ministre, l’immigration de travail est suspendue, car le choc pétrolier sonne la fin des Trente Glorieuses. Mais le pouvoir reste persuadé que la crise sera passagère et que le retour de la croissance et du plein emploi entraînera le recours à la main-d’oeuvre immigrée. Le 29 avril 1976, un décret gouvernemental met par conséquent en place le regroupement familial : le conjoint et les enfants de moins de 18 ans d’un ressortissant étranger en situation régulière sur le territoire français sont autorisés à le rejoindre, sous réserve d’un certain nombre de conditions.

     Trois ans plus tard, Raymond Barre, nouveau Premier ministre, pressent que la crise sera durable et que la mécanisation croissante liquidera des milliers d’emplois peu qualifiés, généralement occupés par des immigrés. Aussi suspend-il pour trois ans le droit au regroupement familial, le décret du 10 novembre 1977 subordonnant celui-ci à l’engagement de l’étranger qui rejoint son conjoint de ne pas chercher du travail en France.
     Mais le 8 décembre 1978, un arrêt du Conseil d’Etat, pris sous l’influence du Gisti (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés), annule le décret. Interprétant le préambule de la Constitution de 1946, la juridiction administrative présente comme un principe intangible le fait, pour les étrangers, de mener en France une vie familiale normale. Il s’agit d’une révolution : en matière d’immigration, un principe général du droit est désormais supérieur aux décisions de l’Etat. Selon cette logique d’un droit devenu absolu, le Conseil d’Etat, en 1980, autorise un Africain à faire venir sa seconde épouse (arrêt Montcho), reconnaissant de facto la polygamie, aberration qui attendra les lois Pasqua de 1993 pour être abolie.
     Après 2003, Nicolas Sarkozy étant ministre de l’Intérieur, quelques clauses restrictives sont adoptées : celui qui demande à faire venir sa famille doit avoir résidé au moins dix-huit mois en France (au lieu de douze), et la carte de séjour de son conjoint ne sera plus automatiquement valable pour dix ans. Cependant, c’est surtout la loi du 24 juillet 2006, votée, Sarkozy étant à l’Elysée, dans un climat d’intense polémique contre le concept d’« immigration choisie », qui pose des critères plus stricts : l’étranger qui veut faire venir sa famille doit apporter la preuve qu’il est capable de subvenir à ses besoins par son travail et non par les prestations sociales, et qu’il dispose d’un logement adapté. La loi Hortefeux du 20 novembre 2007 instaure par ailleurs un examen des connaissances de la langue et des valeurs de la République, et prévoit un test génétique destiné à prouver la filiation des candidats au regroupement familial, article voué à demeurer inappliqué en raison de l’opposition qu’il a suscitée.

     Sur un total de 191 000 titres de séjour délivrés en 2012, 16 000 l’ont été dans le cadre du regroupement familial stricto sensu. Mais celui-ci ne représente qu’une partie de l’immigration familiale : en 2012, 51 000 titres de séjour ont été accordés pour un mariage avec un Français ou pour une personne possédant un lien de parenté avec un enfant français, et 18 000 en raison d’autres liens personnels ou familiaux. Des procédures qui permettent toutes les fraudes, depuis les mariages blancs jusqu’aux filiations fictives.
     « Le droit de vivre en famille est un droit qui ne souffre pas d’exception », répliquait Cécile Duflot à Manuel Valls le 21 août. Au regard de la pression démographique exercée par l’Afrique sur l’Europe, ce principe, s’il était appliqué à la lettre, ferait entrer la France dans une mutation historique, défi dont nul ne peut prévoir l’issue.

Jean Sévillia

 

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