Le 13 décembre, cinquante catholiques français, prêtres, religieux et laïcs morts « en haine de la foi » dans les camps nazis en 1944-1945, sont béatifiés au cours d’une cérémonie qui se déroulera dans la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Le Figaro Magazine des 12 et 13 décembre 2025.
Ils ont perdu la vie à Buchenwald, Dachau ou Mauthausen. Déportés, torturés, mis à mort. Le crime de ces jeunes Français ? Avoir professé la foi catholique jusqu’au cœur de l’Allemagne nazie. Ils sont cinquante. Le plus jeune avait 19 ans, le plus âgé 49. Samedi 13 décembre, ces cinquante martyrs seront déclarés bienheureux, qualité qui précède le titre de saint dans l’Eglise catholique, lors d’une messe qui sera célébrée à Notre-Dame de Paris.
Le 20 juin dernier, le pape Léon XIV a signé le décret du Dicastère des Causes des Saints reconnaissant le martyre de ces hommes – prêtres, religieux, séminaristes ou fidèles laïcs – morts « en haine de la foi ». Dans les années 1980, Mgr Charles Molette, prêtre et historien, spécialiste de la résistance catholique au nazisme, avait posé les bases de cette cause de béatification. L’enquête, ouverte dans le diocèse de Paris, a été close en 2018, puis le dossier est parti pour Rome avec un nouveau postulateur, Mgr Bernard Ardura, un Français, alors président du Comité pontifical des sciences historiques.
Environ trente ans de recherche dans les archives ont donc été nécessaires pour reconstituer l’itinéraire de chacun de ces cinquante hommes originaires de toute la France, et pour conclure que leur disparition, sur le territoire du IIIe Reich, a bien été la conséquence de leur engagement chrétien. Un drame qui s’inscrit dans une page sensible de l’Occupation. En 1942, le gauleiter Fritz Sauckel, chargé, à Berlin, de la réquisition de main d’œuvre dans les pays occupés, exige du gouvernement de Vichy l’envoi d’ouvriers français en Allemagne en échange de la libération de prisonniers de guerre. L’opération, appelée la Relève, n’obtient pas les résultats escomptés. L’année suivante, Sauckel contraint Vichy à mettre en place le Service du travail obligatoire (STO), un dispositif coercitif. Institué par la loi du 16 février 1943, le STO forcera 600 000 jeunes hommes à travailler dans le Reich. Un sujet resté longtemps douloureux, car il faudra que les anciens du STO, invisibilisés par rapport à d’autres victimes du nazisme, attendent un décret du 16 octobre 2008 pour être officiellement reconnus comme des « victimes du travail forcé en Allemagne nazie ».
Après la défaite de 1940, les prisonniers de guerre, relativement protégés par la convention de Genève, bénéficiaient d’aumôniers qui apportaient un secours spirituel aux croyants. Les jeunes du STO, en revanche, n’y avaient pas droit. Avec l’appui du cardinal Suhard, archevêque de Paris, l’abbé Jean Rodhain, futur fondateur du Secours catholique, avait alors pris le titre d’aumônier général des prisonniers de guerre. Quatre ans durant, il sillonnera les Stalags et kommandos de prisonniers français en Allemagne. Mais à partir de 1942-1943, il se préoccupera aussi des requis du STO. Il crée dans ce but la Mission Saint-Paul qui envoie dans les grandes villes du Reich des prêtres et des militants catholiques chargés d’exercer auprès des travailleurs forcés un apostolat clandestin. Repérée par les Allemands, cette activité provoque, le 3 décembre 1943, la signature d’un décret du SS Ernst Kaltenbrunner, chef de toutes les polices du Reich, qui ordonne l’arrestation des prêtres français venus sous couverture du STO ainsi que des militants catholiques déployant une activité religieuse auprès des ouvriers français. Leur zèle est considéré par les nazis comme « un vaste travail de subversion sous le masque de la religion », une activité « antiallemande » assimilée à l’espionnage, ce qui les voue à la mort.
Parmi les cinquante hommes qui seront proclamés bienheureux le 13 décembre, on compte neuf prêtres diocésains, trois séminaristes, quatre franciscains, un jésuite, dix-neuf membres de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et quatorze Scouts de France. Autant de figures dont la fin est bouleversante.
Dernier des sept enfants d’une famille parisienne, Gérard-Martin Cendrier, ancien scout et religieux franciscain, est volontaire pour accompagner les jeunes Français envoyés à Cologne dans le cadre du STO. Découvert, il fait partie, le 13 juillet 1944, d’un groupe de soixante-trois catholiques arrêtés pour leur activité chrétienne. Coupable de « résistance spirituelle », le père Cendrier est transféré, le 26 août, à Buchenwald. Derrière les barbelés, il partage avec ses codétenus le peu de nourriture qu’il reçoit et les invite à prier pour leurs bourreaux. Le 24 janvier 1945, il meurt d’épuisement.
Raymond Cayré, mobilisé en 1939, est ordonné prêtre à Albi en janvier 1940, puis, retourné sur le front, est capturé en juin 1940. Interné au Stalag VI-G, à Bonn, il est officiellement aumônier de neuf kommandos de travail de prisonniers de guerre, tout en menant un apostolat clandestin auprès des ouvriers du STO. Arrêté par la Gestapo en août 1944, déporté à Buchenwald en septembre, l’abbé Cayré y contracte le typhus. Le 22 octobre 1944, exténué, il tombe dans une fosse pleine d’excréments où il meurt d’hypothermie après avoir été arrosé d’eau froide par les gardes du camp.
L’abbé Pierre de Porcaro, ordonné prêtre pour le diocèse de Versailles en 1929, est mobilisé en 1939. Fait prisonnier en 1940, il est libéré en 1941 en tant qu’aumônier militaire. En 1943, à la demande de son évêque, il repart pour l’Allemagne comme aumônier clandestin du STO. Dans une usine de Dresde, il organise une section secrète de la JOC. Victime d’un accident du travail, il est rapatrié en France au bout de six mois. En janvier 1944, l’abbé de Porcaro repart pour Dresde afin de poursuivre sa mission, alors qu’il est informé que le décret Kaltenbrunner accroît les risques. Dénoncé par un Français, il est arrêté le 11 septembre 1944 et envoyé à Dachau en janvier 1945. Dans ce camp de concentration, il rejoint la tristement célèbre « baraque des prêtres » où 2720 prêtres, religieux et séminaristes ont été détenus de 1938 à 1945, dont 1034 qui n’en sont pas sortis vivants. Parmi lesquels Pierre de Porcaro, mort d’épuisement et du typhus le 12 mars 1945. « J’offre ma vie pour la France, avait-il dit, j’accepte le sacrifice que m’envoie le Bon Dieu. »
Natif de Toulon, Joël d’Auriac, scout et routier, a été profondément marqué par son engagement dans le mouvement de Baden-Powell. Envoyé en Allemagne en juillet 1943 dans le cadre du STO, il est employé dans une usine d’armement. Avec d’anciens scouts, il fonde une patrouille secrète, Notre-Dame de l’Espérance, alors que le scoutisme est interdit par les nazis. Dénoncé, arrêté, torturé, il est décapité à Dresde le 6 décembre 1944.
André Vallée, ouvrier imprimeur dans l’Orne et membre de la Jeunesse ouvrière chrétienne, part en 1943 pour le STO. A Gotha, il met sur pied un réseau clandestin de soutien spirituel pour les ouvriers français. Quelques mois plus tard, il est rejoint par son frère Roger, qui est séminariste, lui aussi réquisitionné par le STO. Ensemble, les deux frères Vallée forment une section jociste de 50 membres. Arrêtés le 1er avril 1944, ils sont tous deux condamnés sous ce motif : « Par son action catholique auprès de ses camarades français pendant son service du travail obligatoire, a été un danger pour l’Etat et le peuple allemand. » Roger rend l’âme à Mauthausen le 29 octobre 1944. André, transféré au kommando de Leitmeritz, y disparaît fin janvier 1945.
Dans le martyrologe de l’Eglise catholique figurent désormais cinquante nouveaux bienheureux. Entrés dans la vie éternelle pour avoir tout donné pour la croix du Christ, dressés contre la croix gammée.
Jean Sévillia
A lire
Yves Chiron, La liturgie dans les camps (Cerf, 2025). Charles Molette, Pierre de Porcaro (Artège, 2025). Guillaume Zeller, La baraque des prêtres, Dachau 1938-1945 (Tallandier, 2015).