Les premiers pas du nouveau pape montrent à la fois sa proximité avec son prédécesseur François, et la grande différence de son caractère et de son style.
Rédigé le 13 mai 2025, publié dans le Figaro Magazine du 16 mai 2025.
Il était 19 h 13, le jeudi 8 mai 2025, quand, au terme d’un conclave qui avait réuni 133 cardinaux appartenant à 70 nationalités, résonnait le « Habemus papam » lancé par le cardinal protodiacre, le Français Dominique Mamberti. Alors que, plus d’une heure auparavant, la fumée blanche avait surgi de la cheminée dressée sur le toit de la chapelle Sixtine, une foule de plus de 100 000 personnes était rassemblée devant la basilique Saint-Pierre. Quand le nom du 267e pape a été prononcé, la surprise a été immense : l’élu, un citoyen des Etats-Unis et du Pérou, était un inconnu pour le grand public, et même chez les vaticanistes, très peu avaient pressenti les chances du cardinal Robert Francis Prevost d’accéder au trône de Saint-Pierre, a fortiori au 4e tour de scrutin, comme Benoît XVI en 2005, un record.
Quand le pape est apparu, une immense clameur s’est élevée. Avant même qu’il n’ait pris la parole, cependant, quelque chose avait frappé : sa tenue. Sur sa soutane blanche, le Saint-Père avait revêtu la mozette et l’étole pontificale rouge et or brodée à l’effigie de saint Pierre et saint Paul, ornements que le pape François avait refusé de porter le soir de son élection. En paraissant au balcon de la basilique Saint-Pierre vêtu comme le furent avant lui Pie XII, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et Benoît XVI, le pape s’inscrivait ouvertement et sans complexe dans une lignée. C’était encore plus vrai par le choix de son nom, Léon XIV. Alors que l’argentin Bergoglio, en 2013, avait en quelque sorte créé un nom de pape afin de placer son pontificat sous le patronage de François d’Assise, le nouvel élu, par son nom et sa numérotation, s’ancrait dans l’histoire de la papauté. Le premier pape Léon, Léon le Grand, évêque de Rome au milieu du Ve siècle, saint et docteur de l’Eglise pour avoir fait triompher l’orthodoxie doctrinale au concile de Chalcédoine (451), avait défendu l’Urbs contre les barbares, notamment en négociant le retrait d’Attila et des Huns. Le dernier pape Léon, Léon XIII, qui régna de 1878 à 1903, avait élevé la théologie de saint Thomas d’Aquin au rang de pilier de la pensée catholique et, par son encyclique Rerum Novarum (1891), avait intégré la doctrine sociale de l’Eglise, élaborée dans le premier tiers du XIXe siècle en réponse à la révolution industrielle naissante, dans le corpus intellectuel du catholicisme.
Dimanche 11 mai, Léon XIV a rouvert l’appartement pontifical, au troisième étage du Palais apostolique. Cet ensemble formé par une dizaine de pièces, dont certaines surplombent directement la place Saint-Pierre, avait été délaissé pendant douze ans par le pape François qui avait préféré habiter, au centre du Vatican, la moderne résidence Sainte-Marthe. Le Souverain Pontife devrait prochainement réinvestir ces lieux où vécurent notamment Pie X, Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II, papes canonisés.
Cette discontinuité de style avec le pape François n’a pas empêché Léon XIV de lui rendre hommage, lors de sa toute première allocution. Le pape, de même, n’a pas manqué d’aller se recueillir, samedi 10 mai au soir, sur la tombe de François à Sainte-Marie-Majeure. Bien sûr, Léon XIV est aussi descendu dans la crypte de la basilique Saint-Pierre afin de prier devant les sépultures de tous ses prédécesseurs, et a célébré la messe devant le tombeau de saint Pierre, le premier pape.
Inconnu du grand public, le cardinal Prevost était néanmoins doté d’un capital d’expérience considérable. Né en 1955 à Chicago, au sein d’une famille d’ascendance française et italienne côté paternel, espagnole et créole côté maternel, il est entré en 1977 dans l’ordre des Augustins, un des quatre ordres mendiants de l’Eglise. Ordonné prêtre à Rome en 1982, docteur en droit canonique, ce polyglotte, mathématicien de formation, parle anglais, espagnol et italien, et comprend le français, le portugais, l’allemand et le latin. Envoyé une première fois en mission au Pérou en 1985, il vivra une trentaine d’années dans ce pays dont il devra acquérir la nationalité pour assurer la charge d’évêque de 2015 à 2020. Entretemps et auparavant, il avait été deux fois élu prieur général des Augustins, fonction exercée à Rome de 2001 à 2013. Nommé préfet du Dicastère pour les évêques en 2023, Robert Francis Prevost avait été créé cardinal la même année. Son ascension dans la haute hiérarchie de l’Eglise avait été accélérée par la proximité de ce prélat missionnaire, à moitié sud-américain, avec le pape argentin. Comme François, Léon XIV manifeste une grande piété mariale. Elle s’est illustrée, lors de sa première intervention à la loggia de la basilique Saint-Pierre, par la façon dont, avant de prononcer sa première bénédiction urbi et orbi, il a invité la foule à réciter le « Je vous salue Marie », la prière que les mères apprennent à leurs enfants.
Par des indiscrétions distillées çà et là, on a su ce qui a incité une très large majorité du conclave à élire le cardinal Prevost : non pas sa nationalité ni son positionnement sur l’échelle progressiste ou conservateur, mais sa personnalité. Léon XIV, dès ses premiers mots prononcés de la loggia de Saint-Pierre, est apparu, visiblement ému, pour ce qu’il est en profondeur : un homme modeste, sage, serein, paisible, animé par la force intérieure que confère la prière, s’exprimant toutefois d’une voix forte et décidée. Mgr Rougé, évêque de Nanterre, qui avait travaillé avec lui à Rome, lors du synode d’octobre 2024, se souvient avoir été touché alors « par sa bienveillance ainsi que par la douceur et la solidité de sa parole et de sa pensée ». Autre témoignage d’un Français : « Il est doux et déterminé », souligne le cardinal Bustillo, évêque d’Ajaccio, qui avait reçu le futur Léon XIV lors de la visite du pape François en Corse en décembre 2024.
« Dieu vous aime tous et le mal ne gagnera pas, a déclaré le pape lors de sa première allocution le 8 mai. Nous sommes tous entre les mains de Dieu. Nous devons être unis, main dans la main, avec Dieu, ne pas avoir peur. Nous devons aller de l’avant. Le Christ nous a précédés, le monde a besoin de sa lumière. » Le lendemain, au cours de l’homélie de sa première messe pontificale célébrée dans la chapelle Sixtine, Léon XIV est revenu sur ce thème en plaçant la foi dans le Christ comme l’axe central de la vie de l’Eglise, une Eglise à qui il assigne l’obligation de répondre à « l’urgence missionnaire » posée par « l’athéisme de fait » de notre époque : un défi qui postule, dit-il, « la sainteté » des chrétiens. Samedi 10 mai, lors d’une réunion à huis-clos avec les cardinaux, le Souverain Pontife présentait les priorités de l’Eglise : « le retour à la primauté du Christ dans l’annonce », « la conversion missionnaire de toute la communauté chrétienne », « la croissance dans la collégialité et la synodalité », l’encouragement de « la piété populaire », l’attention « aux plus petits et aux laissés-pour-compte », le dialogue « courageux et confiant » avec le monde contemporain. Dimanche 11 mai, lors de sa première récitation publique de la prière mariale du Regina Caeli, il incitait à encourager les jeunes à se tourner vers la vocation sacerdotale ou religieuse.
« Spirituel d’abord », semble dire ce pape. Ce qui n’exclut pas, dans son esprit, la dimension sociale du christianisme. Devant les cardinaux, samedi 10 mai, il confiait qu’il avait choisi son nom en référence explicite à Léon XIII, car ce dernier avait « abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle » ; dès lors,aujourd’hui, l’Eglise doit offrir « son héritage de doctrine sociale pour répondre à une autre révolution industrielle et aux développements de l’intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail ».
Comme tous ses prédécesseurs, Léon XIV invoque avec vigueur la nécessité de la paix – mot prononcé dix fois lors de sa première allocution. Dimanche 11 mai, lors de la prière du Regina Caeli, il citait les conflits en cours en alertant sur « le spectre de la troisième guerre mondiale ». Et le pape d’exhorter : « Je m’adresse aux grands de ce monde en réitérant cet appel : plus jamais la guerre ! »
« Je suis un augustin, un fils de Saint-Augustin », expliquait le nouvel élu lors de sa première prise de parole. « Pour vous, ajoutait-il, je suis un évêque ; avec vous, je suis un chrétien. » La phrase, reprise d’un sermon de saint Augustin, rappelait que la fonction d’autorité dans l’Eglise peut impressionner les fidèles, mais que celui qui l’exerce partage le sort de tous en se soumettant à Dieu : leçon d’humilité de Léon XIV.
Dès son intervention après son élection, le Souverain Pontife a lu son texte. Par des indiscrétions parues dans la presse, on suppose qu’il l’avait rédigé à l’heure du déjeuner, le 8 mai, ayant présumé que le quatrième tour de scrutin, l’après-midi, ferait de lui le nouveau successeur de saint Pierre. La suite l’a confirmé : évitant au maximum l’improvisation qui avait si peu réussi au pape François, dont maintes prises de parole devant des journalistes avaient indisposé jusqu’à ses plus fervents partisan, la communication de Léon XIV sera strictement contrôlée. « Une communication bruyante, musclée, n’est pas nécessaire », affirmait-il lors de sa première rencontre avec la presse, lundi 12 mai, phrase qui s’adressait aux journalistes mais qui semblait le concerner également.
Autre changement de style dans le gouvernement pontifical, le Saint-Père a annoncé aux cardinaux, samedi dernier, qu’il tenait à prendre leur avis et à entendre leurs conseils, quand son prédécesseur était connu pour son exercice solitaire du pouvoir, et parfois sa rudesse envers ceux qui ne partageaient pas ses options…
Le pape a conservé comme devise pontificale celle qu’il avait déjà comme évêque et cardinal : In Illo uno unum, « En Celui qui est Un, soyons un ». Une formule inspirée du commentaire d’un psaume de saint Augustin qui exprime l’aspiration à l’unité des chrétiens dans la foi au Christ, fils de Dieu. Succédant à un pape à la fois très proche et si différent, Léon XIV, au bout de quelques jours, est parti pour un règne réconciliateur, réparateur, apaisant.
Jean Sévillia