François-Ferdinand, l’archiduc assassiné

Le 28 juin 1914, le meurtre de l’héritier de l’empereur François-Joseph, à Sarajevo, devait conduire à la Première Guerre mondiale. Il rêvait de réformer l’Autriche-Hongrie. S’il avait régné, y serait-il parvenu? 

     Le nom de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche, assassiné à Sarajevo en 1914, est attaché au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Pour le reste, le personnage est inconnu des Français. Aussi se félicitera-t-on du renouveau d’intérêt qu’il suscite chez les chercheurs. Après l’excellente biographie publiée il y a quelques années par Jean-Louis Thiériot (François-Ferdinand d’Autriche, Fallois, 2005), Jean-Paul Bled se penche à son tour sur ce destin brisé *. Professeur émérite à la Sorbonne, spécialiste de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne moderne, cet historien est l’auteur de nombreux livres (François-Joseph, Rodolphe et Mayerling, Bismarck) qui ont préparé cette étude.
     Lorsque François-Ferdinand voit le jour, à Graz, en 1863, il n’est, souligne Jean-Paul Bled, qu’« un archiduc comme la maison d’Autriche en compte tant ». Son père, l’archiduc Charles-Louis, est un frère cadet de l’empereur François-Joseph. Sa mère, Marie-Annunziata des Deux-Siciles, la deuxième épouse de son père, ne saura jamais donner de tendresse à ses enfants. Elle meurt quand François-Ferdinand est âgé de 8 ans, mais l’orphelin trouvera une véritable affection maternelle auprès de la troisième femme de son père, l’archiduchesse Marie-Thérèse, née princesse de Bragance. Il en gardera toutefois une blessure intime, qui renforcera sa nature introvertie.

     Destiné à la carrière militaire, comme tous les hommes de sa dynastie, François-Ferdinand entre dans l’armée, en 1882, à 19 ans. En 1889, l’archiduc Rodolphe, unique fils de François-Joseph, trouve la mort à Mayerling. Aîné des neveux de l’empereur, François-Ferdinand est dès lors considéré comme l’héritier du trône, même s’il n’en aura le titre officiel qu’à la mort de son père, en 1896.

Un caractère particulièrement ombrageux

En 1892, alors qu’il est colonel d’un régiment de hussards, il est atteint d’une crise de tuberculose qui le contraint à abandonner son commandement. Il effectue un voyage de dix mois à travers le monde, du Japon aux Etats-Unis, mais revient sans être guéri. Il prend ensuite un congé de trois ans au cours duquel il voyage encore (notamment en Egypte) et s’abandonne à la passion dévorante de la chasse. Il se soigne cependant. Finalement, par l’action des médecins aussi bien que par un effort extraordinaire de sa volonté, François-Ferdinand vainc la maladie. Ayant repris le service actif en 1898, il devient le représentant de l’empereur pour toutes les affaires militaires.

     Néanmoins, les relations de l’oncle et du neveu ne sont pas faciles. La crise éclate entre eux quand les sentiments de François-Ferdinand envers la comtesse Sophie Chotek deviennent publics. Cette dernière est de bonne noblesse tchèque, mais n’appartient pas à une lignée souveraine, ce qui interdit à l’héritier du trône de l’épouser. Il faudra toute la ténacité de l’archiduc, profondément amoureux, pour que François-Joseph, en 1900, consente à ce mariage morganatique, mais en imposant que la jeune femme n’ait pas le statut d’impératrice et que leurs futurs enfants soient exclus de la succession à la couronne, humiliation qui exacerbera le caractère ombrageux de François-Ferdinand.

     Installé au palais du Belvédère, à Vienne, doté d’une chancellerie militaire et d’un cabinet civil, l’archiduc héritier met sur pied une organisation qui ressemble à un contre-gouvernement, préparant son accession au pouvoir. Hostile aux Magyars, il est au contraire plein de sympathie pour les autres peuples qui vivent sous le sceptre des Habsbourg. Son grand projet, difficile à mettre en oeuvre, serait de refonder la double monarchie sur la base de droits égaux entre les Autrichiens, les Hongrois et les Slaves.

     Jean-Paul Bled montre que, contrairement à l’idée répandue à l’époque, François-Ferdinand n’a rien d’un belliciste. Partisan d’une alliance avec la Russie, il combat la politique d’expansion dans les Balkans que mène Aehrenthal, le ministre autrichien des Affaires étrangères, de même qu’il s’oppose aux plans de guerre préventive contre l’Italie et la Serbie qui sont élaborés par le chef d’état-major, le général Conrad von Hötzendorf.

     C’est cependant cette réputation infondée qui va lui être fatale. Nommé inspecteur général des forces armées austro-hongroises en 1913, il doit, l’année suivante, participer à des manoeuvres en Bosnie. Le 28 juin 1914, François-Ferdinand est à Sarajevo avec sa femme, dont il a imposé la présence parce que c’est leur anniversaire de mariage. Mais cette date est aussi celle d’une mythique bataille gagnée par les Serbes contre les Ottomans, en 1389, si bien que les nationalistes serbes, hostiles aux Habsbourg, regardent la venue de l’héritier du trône d’Autriche comme une provocation. L’ambassadeur de Serbie à Vienne, loyalement, avait prévenu qu’un attentat se préparait. Il faudra donc un tragique concours de circonstances pour que François-Ferdinand et son épouse, la duchesse de Hohenberg, tombent sous les balles tirées par Gavrilo Princip. On sait la suite : cet attentat, à Vienne, servira de prétexte pour déclencher la guerre contre la Serbie. Par le jeu des alliances, ce qui devait être un conflit local et limité se transformera ensuite en conflagration mondiale…

     Jean-Paul Bled, à la fin, s’interroge : François-Ferdinand, s’il avait régné, aurait-il changé le cours de l’Histoire ? Ces pages sont les plus originales du livre, même si l’auteur est trop bon historien pour donner des réponses tranchées aux scénarios qu’il esquisse.

     L’archiduc assassiné, intelligent et énergique, bon mari et bon père, ne savait pas se faire aimer, sans doute parce qu’il peinait à maîtriser une certaine violence qu’il portait en lui. S’il était devenu empereur, il aurait eu à se méfier de lui.

Jean Sévillia

* François-Ferdinand d’Autriche, de Jean-Paul Bled, Tallandier.

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