Elisabeth II : un sacerdoce royal

La reine d’Angleterre fête ses 60 ans de règne. Cette longévité personnelle et politique a permis à la souveraine de prouver sa capacité à surmonter les crises qui ont secoué la monarchie britannique.

     Elizabeth, agenouillée sur le gravier, en train de changer la roue d’un véhicule militaire. Elizabeth dansant un quadrille avec son mari, le prince Philip portant une chemise et un foulard de cow-boy. Contraste entre ces photos de jeunesse, que l’on découvre avec curiosité dans l’album que Stéphane Bern consacre à la reine d’Angleterre (1), et les clichés qui, aujourd’hui, montrent une dame de 86 ans au pas lent, un peu courbée, d’une immuable dignité.

     Joanny Moulin, un universitaire spécialiste de l’Angleterre, souligne que, de la grande Elizabeth Ire à la reine Victoria, « au Royaume-Uni, la Couronne est une mystique qui ne prend véritablement tout son sens que dans l’idée insubmersible d’une femme sur le trône » (2). En ce sens, Elizabeth II est en parfaite adéquation avec sa charge, qu’elle remplit comme un sacerdoce. Elle a fêté ses 60 ans de règne le 6 février dernier, mais son jubilé de diamant sera célébré officiellement du 2 au 5 juin prochain, à Londres, dans un cocktail bien dosé de solennités dynastiques et de fêtes populaires.
     Elizabeth Alexandra Mary Windsor est née à Londres le 21 avril 1926. Petite-fille du roi George V et de la reine Mary, elle est la fille d’Albert George, duc d’York, fils cadet du couple royal, et de lady Elizabeth Bowes-Lyon. George V meurt en janvier 1936. Au mois de décembre suivant, son héritier, Edouard VIII, renonce au trône afin d’épouser Wallis Simpson, une Américaine deux fois divorcée. Son frère cadet, timide et bègue – il a été récemment mis en scène dans Le Discours d’un roi – lui succède sous le nom de George VI. Elizabeth, n’ayant qu’une soeur cadette et pas de frère, devient ipso facto princesse héritière.
     En 1939, à l’approche de la guerre, les filles du roi sont envoyées au château de Windsor, moins exposé que Buckingham. En 1945, alors que les combats ne sont pas terminés, Elizabeth s’enrôle dans l’Auxiliary Territorial Service, apprenant à conduire camions et ambulances et à démonter et entretenir les moteurs. Un engagement sans risque, mais qui autorise la reine, de nos jours encore, à se présenter comme le seul chef d’Etat en exercice ayant porté l’uniforme pendant la Seconde Guerre mondiale.
     En 1947, le jour de ses 21 ans, la princesse héritière prononce à la radio un discours qui s’adresse aux pays liés à la couronne britannique : « Je déclare devant vous tous que je consacrerai toute ma vie, qu’elle doive être longue ou brève, à votre service et au service de la grande famille impériale dont nous faisons tous partie, mais je n’aurai pas la force de respecter cet engagement sans votre participation que je vous invite à m’offrir. »

Churchill a fait son éducation politique

A la fin de la même année, Elizabeth épouse le prince Philippe de Grèce et de Danemark, officier de la Royal Navy qui, après avoir obtenu la citoyenneté britannique, a pris le nom de Philip Mountbatten et sera titré duc d’Edimbourg.
     Elizabeth est en visite officielle au Kenya, le 6 février 1952, lorsqu’elle apprend la mort de son père. C’est en reine d’Angleterre qu’elle rentre à Londres où l’attend, au pied de l’avion, Winston Churchill. Inquiet, le Premier ministre se demande ce que cette « gamine » (le mot est de lui) comprendra à la politique. Il se chargera par conséquent de son initiation, ce dont la souveraine lui sera toujours reconnaissante. Couronnée le 2 juin 1953, en l’abbaye de Westminster, cérémonie suivie par 277 millions de téléspectateurs, Elizabeth exerce depuis son métier de reine. Son rôle politique, on le sait, est de l’ordre du symbole : déléguant ses pouvoirs au Premier ministre qui les exerce en son nom, la souveraine a pour seule fonction d’incarner l’Etat. Mais cette mission, on le sait moins, est lourde. Ouvrant la session parlementaire, signant les actes du Parlement, la reine est constamment informée du travail gouvernemental, sans ignorer pour autant l’opposition. Mais Elizabeth II inspecte aussi les troupes, reçoit les chefs d’Etat, effectue des voyages à l’étranger, accepte les lettres de créance des ambassadeurs, décerne des distinctions et lit les 200 à 300 lettres qu’elle reçoit par jour. Bertrand Meyer-Stabley, un spécialiste français de la monarchie britannique, résume ainsi les caractéristiques de la reine : « Le devoir chevillé au corps, la volonté d’être digne de ses parents, le sens de l’histoire, la discipline d’une cavalière et une bonne dose d’héroïsme. » (3)
     Passionnée de chevaux et de chiens, aimant la vie à la campagne, socialement conservatrice, Elizabeth II est une représentante de l’Angleterre d’autrefois, confrontée par sa destinée à l’Angleterre contemporaine. Les déboires conjugaux de ses trois enfants aînés, Charles, Anne et Andrew, conjugués à l’incendie du château de Windsor, firent de l’année 1992, pour elle, l’« annus horribilis ». Selon Marc Roche, correspondant du Monde à Londres, « on ne peut nier le fait que lady Diana ait mis en péril la stabilité de la monarchie anglaise » (4). La mort de la princesse, icône médiatique, contraindra Elizabeth II – poussée par Tony Blair, comme on l’a vu dans The Queen, le film de Stephen Frears – à un compromis avec ses propres principes, épreuve dont la monarchie sortira finalement gagnante. Depuis, le jubilé de 2002 puis le mariage du prince William avec Kate Middleton, l’an dernier, ont illustré l’étonnante capacité des Windsor à conserver la faveur des Anglais, ce peuple démocrate, mais pas républicain. 

Jean Sévillia

(1) Le Destin d’une reine, de Stéphane Bern, Albin Michel.

(2) Elisabeth II. Une reine dans l’histoire, de Joanny Moulin, Flammarion.

(3) Majesté !, de Bertrand Meyer-Stabley, Pygmalion.

(4) Elizabeth II. Une vie, un règne, de Marc Roche, La Table Ronde.

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