ENQUÊTE – À Rome, le Jubilé des jeunes a rassemblé des garçons et des filles du monde entier autour du pape. Mais le pape n’oublie pas l’Église de France. Figure pacificatrice, le souverain pontife fait l’unité des catholiques par le haut.
Le Figaro Magazine des 14 et 16 août 2025.
Dans la soirée du 2 août dernier, la veillée de prière qui se tenait sur le campus de Tor Vergata, dans la banlieue de Rome, un million de garçons et de filles venus du monde entier pour le Jubilé des jeunes se pressaient autour de Léon XIV. La ferveur de cette foule immense évoquait l’enthousiasme des JMJ du temps de Jean-Paul II, et la qualité du silence au moment de l’adoration eucharistique, lors de la veillée du samedi soir, rappelait les JMJ de Madrid avec Benoît XVI. Succès total du premier rendez-vous du nouveau pape avec les jeunes, et naissance de ce qu’on appellera peut-être la « génération Léon XIV ».
En 2025, l’Église catholique, si souvent décriée, montre une étonnante capacité de mobilisation. En France, en cette fête du 15 août, plus de 7000 fidèles sont réunis à Lourdes, dont près de 4000 brancardiers et hospitaliers bénévoles, pour la 152e édition du Pèlerinage national de l’Assomption. Au mois d’avril dernier, c’était plus de 13 000 adolescents qui s’étaient retrouvés dans la cité mariale à l’occasion du Frat, le pèlerinage des lycéens d’Île-de-France. Au mois de mai, à Lourdes encore, le 65e Pèlerinage militaire international réunissait 17 000 officiers, soldats et marins, dont plus de 5000 Français, ce qui en faisait le deuxième événement militaire français après le défilé du 14 Juillet. Au mois de juin, lors du week-end de Pentecôte, le pèlerinage de Chartres réunissait 19 000 jeunes partis de Paris pour trois jours de marche d’une cathédrale à l’autre.
Fin juin, 4000 pèlerins se retrouvaient pour la clôture du 350e anniversaire des apparitions de Paray-le-Monial, près d’Autun (en 1675, le Christ aurait confié un message à la sœur visitandine Marguerite-Marie Alacoque, ce qui devait lancer le culte du Sacré-Cœur de Jésus). Les 25 et 26 juillet, à Sainte-Anne-d’Auray, près de Vannes, le Grand Pardon célébrant le 400e anniversaire des apparitions de sainte Anne au paysan Yvon Nicolazic rassemblait 30 000 fidèles. Du 28 juillet au 3 août, 20 000 jeunes Français figuraient parmi les centaines de milliers de fidèles réunis à Rome pour le Jubilé des jeunes. Au cours de ces mois de juillet et d’août, enfin, la quasi-totalité des 160 000 garçons et filles membres d’un des trois grands mouvements de scoutisme catholique auront participé à un camp d’été.
46 % des Français sont catholiques
Pourquoi cette avalanche de chiffres ? Simplement pour rappeler une vérité qu’on tendrait à oublier. La France, en une cinquantaine d’années, a certes vécu un bouleversement majeur : le catholicisme, immensément majoritaire jusqu’au milieu des années 1960, quand plus de 90 % des enfants étaient baptisés à la naissance, est aujourd’hui minoritaire. Non pas tant du fait de la progression d’une autre confession, mais en conséquence de la désaffiliation religieuse d’une grande partie de la société, et de l’effondrement de la pratique. Dans la tranche d’âge de 18 à 59 ans, 51 % de la population affirme ne pas avoir de religion. Ce que le sondeur-sociologue Jérôme Fourquet appelle « la disparition de la matrice catholique » de la France est un phénomène qui, statistiquement parlant, ne peut que s’amplifier dès lors que le nombre d’enfants baptisés et catéchisés décroît régulièrement (ils sont 30 % de nos jours contre 70 % au début des années 1980), et que la diminution spectaculaire du nombre de prêtres ainsi que les églises aux portes closes, spécialement dans les zones rurales, creuse la distance entre la religion catholique et la société.
Pour autant, selon un récent sondage réalisé par l’Ifop sous la conduite de Jérôme Fourquet pour le compte de l’Observatoire français du catholicisme, 46 % des Français continuent à se déclarer catholiques. Un pourcentage à tempérer, sans doute, selon les générations : ce sont 62 % des personnes âgées de plus de 65 ans qui s’affirment catholiques, contre 23 % des 18-24 ans. En comparaison, 4 % des Français déclarent appartenir à l’islam (pourcentage qui est de 18 % dans la tranche d’âge 18-24 ans), 1 % au protestantisme et 1 % au judaïsme. Par conséquent, plus de 30 millions de Français, en 2025, se reconnaissent à un degré divers dans le catholicisme. Soit une petite moitié de la population, ce qui demeure considérable. Quant à la minorité pratiquante – seulement 2 % des baptisés catholiques confient assister à la messe tous les dimanches et 32 % irrégulièrement, proportion qui explique le manque de prêtres car la majorité des vocations religieuses naissent au sein de familles pratiquantes –, elle s’avère, dans ses secteurs les plus dynamiques, fervente, engagée et déterminée, comme le montrent les chiffres des pèlerinages cités plus haut.
Pour la fête de l’Assomption, le 15 août, Léon XIV est revenu à la résidence d’été des papes, située à une trentaine de kilomètres de Rome. Il y a séjourné deux semaines au mois de juillet, logeant dans la villa Barberini, la résidence habituelle du secrétaire d’État du Saint-Siège lorsque le souverain pontife se trouve à Castel Gandolfo, usage abandonné par le pape François, qui préférait passer l’été au Vatican. À Castel Gandolfo, le palais pontifical, transformé en musée, devra être réaménagé pour accueillir les futurs séjours de Léon XIV. Qui, selon des sources bien informées, a profité de ce cadre serein pour travailler à sa première encyclique, et réfléchir aux nominations qu’il effectuera prochainement au sein de la curie, nominations qui laisseront deviner les grandes orientations du pontificat.
Un nouveau style de pontificat
Depuis son élection, le Saint-Père a maintes fois rendu hommage à son prédécesseur : il serait vain de chercher à les opposer radicalement. Il reste que le nouveau pape se distingue de l’ancien, et d’abord par le style. Ayant repris dans sa tenue de cérémonie des attributs liturgiques abandonnés par le pape François, recourant largement au latin dans la prière publique, s’apprêtant à reprendre possession des appartements pontificaux au Vatican comme à Castel Gandolfo, eux aussi délaissés par son prédécesseur, Léon XIV a endossé sa fonction de la manière la plus traditionnelle. Mais surtout, ce Souverain Pontife choisi par le conclave pour apaiser et ressouder une Eglise sortie assez divisée du pontificat de François, lequel ne craignait pas de provoquer des clivages, se veut, sans rien céder sur la doctrine, un pasteur universel, un homme de concorde.
A cet égard, deux de ses gestes symboliques ont frappé les observateurs. Le 9 juillet, le cardinal Raymond Leo Burke, un Américain, ancien préfet du tribunal suprême de la Signature apostolique, la juridiction suprême du Saint-Siège, qui avait traduit son désaccord avec certaines positions du pape François en lui présentant, selon la voie officielle, des objections (dubia) qui lui avaient valu d’être mis à l’écart au Vatican, a publié une lettre dans laquelle, à l’occasion de son jubilé d’or sacerdotal, Léon XIV lui a exprimé sa gratitude pour son zèle, sa compétence juridique et son service de l’Église. Au mois de mai, de même, le pape a désigné le cardinal Robert Sarah, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, comme son envoyé spécial à Sainte-Anne-d’Auray pour présider les célébrations du 400e anniversaire des apparitions de Sainte-Anne, la sainte patronne de la Bretagne. Le prélat guinéen, nommé à la curie par Jean-Paul II et très proche de Benoît XVI, coauteur des dubia adressés à François et lui aussi mis sur la touche au sein de la curie, a publié la lettre dans laquelle Léon XIV, lui confiant la mission de le représenter à Sainte-Anne d’Auray, le saluait ainsi : « Nous nous adressons à toi, vénérable frère, qui, pourvu de piété et de doctrine, te distingue dans la vigne du Seigneur comme un ouvrier vigilant et zélé ». Deux cardinaux conservateurs hier écartés et aujourd’hui honorés par le pape, cette mesure de réconciliation manifeste un changement de gouvernance au sommet de l’Eglise.
Le 22 juin, lors de la procession de la Fête-Dieu dans les rues de Rome, le Saint-Père bénissait la foule avec l’ostensoir renfermant une hostie consacrée, exprimant sa foi dans la présence réelle du Christ dans le sacrement de l’Eucharistie. En permanence, Léon XIV centre la fonction pontificale sur ce qui, par définition, constitue la raison d’être des chrétiens, et constitue le trait d’union entre eux, au-delà de leurs différences : la foi dans le Christ, fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, ressuscité au terme d’une Passion vécue pour racheter le péché du monde.
L’exemple des grands saints français
Homme d’unité, Léon XIV sera néanmoins conduit, par sa fonction d’autorité, à des choix qui ne satisferont pas tout le monde car l’Eglise abrite de profondes diversités. Dans le cas du catholicisme français, par exemple, il y a loin entre la manière d’être des Scouts et Guides de France, dont le conseil d’administration vient de se doter d’une présidente élue socialiste à Paris, mère homoparentale et favorable à l’avortement, et la vision des jeunes pèlerins de Chartres qui marchent, à la Pentecôte, sous la bannière de l’association Notre-Dame de Chrétienté en priant au rythme de l’ancienne liturgie latine. A cet égard, trouver une solution à la question traditionaliste fait partie des dossiers épineux qui attendent le nouveau pape. Le sujet a récemment rebondi après qu’une journaliste américaine, Diane Montagna, a dévoilé un document prouvant que la décision du pape François, en 2021, d’annuler les facilités accordées en 2007 par Benoît XVI pour la célébration de la messe latine traditionnelle a été prise alors qu’une enquête lancée par la Congrégation de la Doctrine de la foi auprès des évêques du monde entier avait montré que la grande majorité de ceux-ci estimaient que revenir sur les mesures prises par Benoît XVI « ferait plus de mal que de bien ». On peut supposer que Léon XIV, dont les goûts liturgiques sont classiques, abordera le sujet par le haut, sans désavouer son prédécesseur mais en cherchant un geste pacificateur, dans l’esprit de Jean-Paul II et de Benoît XVI.
Le 31 mai dernier, le Souverain Pontife envoyait aux évêques français une lettre dans laquelle il leur demandait de prendre appui sur l’exemple de trois grands saints – saint Jean Eudes, saint Jean-Marie Vianney et sainte Thérèse de l’enfant Jésus – pour redonner « un nouvel élan missionnaire » à la France. Et Léon XIV, s’adressant à tous les catholiques français, soulignait ceci : « Cet héritage chrétien vous appartient encore, il imprègne encore profondément votre culture et demeure vivant en bien des cœurs. » Dans la même lettre, le Saint-Père adressait ses encouragements à un clergé dont l’image a été abîmée par les scandales provoqués par une minorité : « Je profite de l’occasion pour remercier du fond du cœur tous les prêtres de France pour leur engagement courageux et persévérant et je souhaite leur exprimer ma paternelle affection. » Le 29 juillet, Le pape a reçu au Vatican une délégation de 800 catéchumènes et néophytes français venus à Rome pour le Jubilé des Jeunes. S’exprimant en un excellent français pour la première fois depuis son élection, il les a encouragés à ne pas devenir des chrétiens « de convenance, d’habitude, de confort ».
Les Français «en quête spirituelle»
Selon l’Observatoire français du catholicisme, seuls 41 % des Français déclarent croire en Dieu. Ils sont pourtant 52 % à prier ou méditer « souvent ou parfois », et 37 % à affirmer qu’ils sont « en quête spirituelle », pourcentage qui est de 47 % chez les 18-24 ans et de 43 % chez les 25-34 ans. Lors des fêtes de Pâques 2025, 10 000 adultes et 7000 adolescents ont demandé le baptême, acte d’entrée dans l’Eglise qui relève de la pure liberté intérieure, et que n’ont entravé ni les querelles d’hier, ni le climat d’antichristianisme croissant dont la multiplication des attentats contre des églises est le signe visible. « Quand tout parfois semble sombre, proclamait l’autre jour le cardinal Sarah à Sainte-Anne d’Auray, nous pouvons toujours dire, avec notre pape bien-aimé Léon XIV, que le mal ne l’emportera pas, le mal ne prévaudra pas. Dieu, notre Dieu, est infiniment bon, infiniment beau, infiniment grand. »
Selon un sondage Odoxa publié par Le Figaro des 2 et 3 août derniers, 86 % des Français ont une bonne opinion de Léon XIV, et 49 % d’entre eux pensent que le catholicisme peut connaître un renouveau en France dans les prochaines années. En dépit de tout, les catholiques n’ont pas dit leur dernier mot.
Jean Sévillia