Reines d’un jour, reines de toujours

Evelyne Lever publie un « Dictionnaire amoureux des reines ». Une galerie de portraits à travers un millénaire de l’histoire européenne.

Cela ne se fait pas de mentionner l’âge des femmes, mais dans son cas, on fait une exception : le 21 avril dernier, Elisabeth II a fêté ses 91 ans. A la mort du roi de Thaïlande, à l’automne 2016, elle est devenue le plus ancien souverain régnant (plus de soixante-cinq ans), et le plus âgé en fonction. Mais la reine d’Angleterre n’est pas seulement une dame à qui la longévité a permis de battre toutes sortes de records, elle est un mythe vivant. On peut sourire de ses tenues et de ses chapeaux, des déboires qu’elle a subis avec ses enfants et parfois ses petits-enfants, de l’invraisemblable apparat qui l’entoure, même si le train de vie à Buckingham a été réduit (c’est dire ce qu’il était il y a cinquante ans…), il reste que Sa Majesté Elisabeth II, reine par la grâce de Dieu du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth, défenseur de la Foi – c’est son titre officiel outre-Manche – accomplit inlassablement la mission à laquelle sa naissance l’a destinée : elle incarne une nation. Un rôle qu’elle remplit si bien que, dans le Dictionnaire amoureux des reines publié aujourd’hui par Evelyne Lever, l’article qui lui est consacré est classé sous une entrée qui dit tout : The Queen.

Dans ce volume, l’historienne, spécialiste du XVIIIe siècle et biographe de Marie-Antoinette, explore la royauté au féminin, avec la liberté laissée à l’auteur par la célèbre collection des Dictionnaires amoureux. Les choix opérés par Evelyne Lever parcourent les siècles, de Blanche de Castille à Wilhelmine des Pays-Bas, et bien sûr toute l’Europe, à l’exception de la Suisse, cet étrange pays qui a toujours été une République. Quels traits communs reconnaître à ces dizaines de reines ? Le pouvoir, bien sûr, qu’elles ont exercé directement, dans les monarchies où le trône se transmettait aussi par les femmes, ou indirectement, dans les dynasties où la reine, comme en France, n’était que l’épouse du roi et la mère du futur roi, position néanmoins considérable. La majesté, la féminité, la maternité : la séduction passait (et passe) par des instruments infinis. Toutes les reines, cependant, ont été différentes parce que chacune a eu son histoire propre. On pourrait donc égrener longtemps les différences et les oppositions que constate l’histoire entre des femmes qui ont toutes été reines.

Christine de Suède, couronnée en 1650, fait de son pays, dont la souveraineté s’étend sur les deux rives de la Baltique, la principale puissance du Nord. Mais ses manières libres et son goût des fêtes choquent ses compatriotes, qui sont protestants. En 1654, elle abdique, quitte la Suède et se convertit au catholicisme, parcourant pendant trente-cinq ans l’Europe en menant une vie agitée (Evelyne Lever raconte magnifiquement comment Christine fit assassiner son favori, Monaldeschi, alors qu’elle était l’hôte du roi de France à Fontainebleau). A contrario, la reine Victoria, qui a régné plus de soixante-trois ans, n’aurait jamais eu l’idée d’abandonner son poste, tant elle aura symbolisé jusqu’au bout, dans sa vieillesse autoritaire, à l’orée du XXe siècle, l’Angleterre impérialiste et fière de ses traditions.

Il y a les reines que la postérité ne cesse d’encenser, telle Aliénor d’Aquitaine, admirée pour sa haute culture, et celle sur lesquelles pèse une mauvaise réputation, telle Catherine de Médicis, accusée (à tort) d’être l’instigatrice du massacre de la Saint-Barthélemy. Il y a eu les croqueuses d’hommes, telle Marguerite de Valois, la reine Margot, première femme d’Henri de Navarre, le futur Henri IV, nymphomane qu’on rencontre dans le livre d’Evelyne Lever sous l’entrée « Amants », mais il y a eu aussi cette étonnante reine vierge que fut Elisabeth Ière d’Angleterre. Il y eut celles qui furent maltraitées par leur mari, comme les épouses de Henri VIII, qui fut successivement le bourreau de six femmes, mais aussi celles qui furent comblées par l’amour conjugal, comme Alix de Hesse-Darmstadt, l’épouse de Nicolas II, l’impératrice Alexandra Fedorovna de Russie. Et au sein d’une même dynastie, quelle différence, chez les Habsbourg, entre Sissi, l’impératrice Elisabeth, femme de François-Joseph, elle qui détestait sa fonction, et l’impératrice Zita, qui assuma son titre d’impératrice d’Autriche jusque dans l’exil et la pauvreté, trouvant le réconfort dans sa foi chrétienne ?

On lira ce livre en passant d’un article à l’autre, selon son inclination du moment, mais sans cesser de méditer sur ce mystère : pourquoi les Français, qui sont républicains, ne cessent-ils d’être fascinés par les reines ?

 

Jean Sévillia

 

Dictionnaire amoureux des reines, d’Evelyne Lever, Plon, 624 p., 25 €.

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