Le PSF en appel

Une solide étude renouvelle notre vision du parti du colonel de La Rocque, qui n’incarna nullement la tentation fasciste en France, mais fut le plus grand parti de droite de l’entre-deux-guerres.

D’innombrables photos ou films des années 1930 montrent les Croix-de-Feu, brassard au bras et béret sur la tête, défilant en rangs serrés sur les Champs-Elysées ou rue de Rivoli, face à la statue de Jeanne d’Arc, derrière leur chef, le colonel de La Rocque. Des images qui font classer ce mouvement parmi les ligues d’extrême droite qui, à l’époque, voulaient abattre la République. Pour l’historien américain Robert Soucy (Fascismes français ? 1933-1939, Autrement, 2004) ou son collègue israélien Zeev Sternhell, la cause est entendue : les Croix-de-Feu et le Parti social français (PSF), qui en était issu, incarnent « l’essence du fascisme ».

Plusieurs publications, depuis deux ans, ont mis à mal ces idées toutes faites. En 2014, sous le titre Pourquoi je suis républicain, paraissaient des carnets inédits, rédigés entre 1943 et 1944 par La Rocque alors qu’il était prisonnier des Allemands. Le texte, établi par Hugues de La Rocque, petit-fils du colonel, et par Serge Berstein, professeur émérite des Universités à Sciences Po Paris, apportait la preuve de l’ancrage républicain du meneur des Croix-de-Feu et du PSF.

En 2014 encore était publié Fascisme français ? La controverse, un livre collectif dirigé par Serge Berstein et Michel Winock, professeur émérite des Universités à Sciences Po Paris. L’ouvrage réunissait les contributions d’historiens plutôt classés à gauche ou au centre-gauche (Jean-Noël Jeanneney, Jean-Pierre Azéma, Jacques Julliard, Paul Thibaud…) qui contestaient la thèse défendue de livre en livre par Zeev Sternhell. En 1978, dans La droite révolutionnaire (1885-1914). Les origines françaises du fascisme, en 1983 dans Ni droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France et en 2014 dans Histoire et Lumières. Changer le monde par la raison, celui-ci reprenait le même refrain : la France des anti-Lumières a été le laboratoire intellectuel et politique du fascisme européen, un monstre qui s’est incarné, en France, dans le régime de Vichy. En 1983, déjà, Raymond Aron reprochait à Sternhell de donner du fascisme « une définition tellement vague que l’on peut y rattacher n’importe quoi ». En 2014, les chercheurs réunis par Berstein et Winock soulignaient que, s’il y eut des intellectuels et des groupes fascistes dans la France des années 1930, le phénomène n’a jamais touché la masse de la population. Dans cet ouvrage, un chapitre signé par Jean-Paul Thomas, professeur honoraire de chaire supérieure et chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences Po, étudiait « les variations de Zeev Sternhell » à propos des Croix-de-feu et du PSF, en incriminant l’absence de rigueur méthodologique de l’historien israélien.

En 2016, enfin, vient de paraître, sous la direction de Serge Berstein et Jean-Paul Thomas, avec une préface de Jean-Noël Jeanneney, la réunion de textes issus d’un colloque consacré au Parti social français, les 30 et 31 janvier 2014, par le Centre d’histoire de Sciences-Po. Ce volume, titré Le PSF. Un parti de masse à droite, rassemble les noms de près d’une vingtaine de chercheurs qui ont creusé l’histoire du PSF dans les archives disponibles : là encore, le résultat bouscule la vulgate de Sternhell.

« Dans l’histoire de la France du XXe siècle, écrivent Serge Berstein et Jean-Paul Thomas, le PSF constitue une incontestable énigme en raison des interrogations que posent sa nature et l’audience considérable qui fut la sienne ». Au départ de cette aventure politique, il y a François de La Rocque. En 1918, ce saint-cyrien de 33 ans est officier de la Légion d’honneur et titulaire de la croix de guerre avec neuf citations. Après une dizaine d’années à l’état-major interallié de Foch, il quitte l’armée, en 1928, avec le grade de lieutenant-colonel. Patriote dans l’âme, catholique pratiquant, l’homme est aussi un républicain sincère. Il adhère aux Croix-de-feu, une association d’anciens combattants fondée un an plus tôt, et, poussé par les maréchaux Foch, Fayolle et Lyautey, en prend la présidence en 1931. Pour les Croix-de-Feu, c’est un tournant. De 2000 adhérents en 1929, l’association passera à 400 000 membres en 1935, mais surtout, d’amicale du souvenir, deviendra un mouvement politique.

En novembre 1934, le colonel de La Rocque fait paraître Service public, un petit livre dans lequel il expose ses idées. Aspirant à « servir » et non « se servir », le président des Croix-de-Feu exalte l’esprit patriotique, condamne le bolchevisme et le totalitarisme et, vantant l’association du capital et du travail, prône la limitation du droit de grève, l’instauration du salaire minimum et des congés payés, et réclame le développement des loisirs populaires, le vote familial (proportionnel au nombre d’enfants) et le vote des femmes. S’il ne remet pas en cause les institutions de la IIIe République, La Rocque veut rendre au chef de l’Etat sa prééminence sur le Parlement, appelant de ses vœux un exécutif fort. Face au danger allemand, par ailleurs, il plaide pour un rapprochement avec l’Italie.

Lors du 6 février 1934, les Croix-de-Feu ne se sont pas mêlés aux autres manifestants, refusant l’assaut contre les forces de l’ordre, ce qui vaut à La Rocque d’être accusé d’émarger aux fonds secrets du gouvernement. Dans ces années où l’antisémitisme redevient virulent à l’extrême droite, les Croix-de-Feu participent à des cérémonies organisées à la mémoire des anciens combattants juifs, notamment, le 14 juin 1936, à la synagogue de la rue de la Victoire, en présence du grand-rabbin Jacob Kaplan.

Le 18 Juin 1936, l’association des Croix-de-Feu est néanmoins dissoute par le gouvernement du Front populaire. Dès le 7 juillet suivant, La Rocque riposte en fondant le Parti social français, dont il prend la présidence. Ce parti, dont la devise est « Travail, famille, patrie », défend les mêmes thèmes que les Croix-de-Feu. Il connaîtra, observent Serge Berstein et Jean-Paul Thomas, un « immense succès tombé dans l’oubli compte tenu des événements qui suivront ».

Doté d’un quotidien grand public (Le Petit journal), attirant des figures de proue comme l’aviateur Jean Mermoz qui sera vice-président du PSF jusqu’à sa mort au-dessus de l’océan Atlantique, en décembre 1936, disposant d’un groupe parlementaire constitué de députés conservateurs ralliés à lui et d’élus locaux (3000 maires, 541 conseillers généraux, des milliers de conseillers municipaux), contrôlant de nombreuses organisations satellites (syndicats, centres d’entraide sociale, groupements d’action populaire, colonies de vacances), riche de plus d’un million d’adhérents en 1939, le PSF est le plus grand parti de droite, et même le premier parti de masse de l’histoire politique française. Prévoyant d’obtenir une centaine de députés aux élections législatives de 1940, il prépare le scrutin, mais en raison des événements, ce dernier n’aura pas lieu.

L’histoire du PSF s’arrête là, puisque le parti sera interdit sous l’Occupation. La Rocque, lui, sera à la fois maréchaliste, antigaulliste et opposé à la collaboration. Après des premiers contacts avec la Résistance en 1941, il formera le réseau Klan qu’il dirigera, à partir de mai 1942, pour le compte de l’Intelligence Service. Arrêté en 1943 par la police allemande, interné six mois en France, déporté ensuite en Tchécoslovaquie puis en Autriche, il sera libéré par les Américains en mai 1945. Après son retour en France, incarcéré sans véritable chef d’inculpation puis placé en résidence surveillée, il mourra, en avril 1946, des suites d’une intervention chirurgicale.

En analysant la genèse du PSF, son développement rapide de 1936 à 1939-1940 et son positionnement dans le jeu politique de la IIIe République finissante, les chercheurs réunis par Serge Berstein et Jean-Paul Thomas démontrent que, contrairement par exemple au PPF de Doriot qui, fondé par des communistes en rupture de ban avec le PCF, n’a fait que dériver vers le fascisme, le parti de La Rocque s’est peu à peu recentré, entretenant même, juste avant la guerre, des contacts assez étroits avec l’aile droite des radicaux. Des faits qui invalident de manière définitive la thèse de Zeev Sternhell.

Légaliste et républicain, La Rocque n’était pas un fasciste mais un officier entré en politique, frappé par l’impuissance des rares partis de la droite traditionnelle sous la IIIe République. On ne refait pas l’histoire : il est impossible de dire ce qu’il serait advenu du PSF si la France n’avait pas été vaincue en 1940.

Jean Sévillia

 

Colonel de La Rocque, Pourquoi je suis républicain, introduction de Serge Berstein, Seuil, 2014, 346 pages, 21 €.

Serge Berstein et Michel Winock (dir.), Fascisme français ? La controverse, CNRS éditions, 2014, 254 pages, 20 €.

Serge Berstein et Jean-Paul Thomas, Le PSF. Un parti de masse à droite (1936-1940), CNRS éditions, 2016, 348 pages, 25 €.

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