Paysans pas morts

Il y a quelques semaines, le blocage des routes par les éleveurs attirait l’attention sur le désarroi qui frappe un pan du monde agricole. Chaque année, entre 400 et 500 paysans se suicident : autant de drames individuels qui témoignent du désespoir collectif d’un secteur de la société qui se voit disparaître. La terre qui meurt, c’était déjà le titre d’un roman publié en 1899 par René Bazin, écrivain injustement oublié. De 1899 à nos jours, c’est précisément la période étudiée par Eric Alary. Agrégé et docteur en histoire, auteur de nombreux ouvrages ayant trait à l’histoire de la France du XXe siècle, spécialement au temps de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, ce chercheur se penche, dans un travail solidement documenté mais jamais ennuyeux – au contraire – sur les transformations des campagnes et de leurs habitants en un peu plus d’un siècle. Une durée pas si longue à l’échelle de la vie humaine, puisque la mémoire des familles remonte très facilement jusqu’aux grands-parents et même aux arrière-grands-parents, ce qui permet de faire un bond de plusieurs générations en arrière. Alary le souligne dès son introduction, il veut insister « sur la vie quotidienne et les mentalités paysannes plus que sur les évolutions des techniques », et saisir les paysans « dans leur rapport aux autres, aux villes, à l’Etat, mais aussi à l’Europe et au monde ». Son enquête retrace donc, de la Belle Epoque à nos jours, cette grande histoire qui vit le monde paysan sortir de son isolement par l’école, le service militaire et le développement du chemin de fer autour de 1900, être décimé en 1914-1918, stagner dans l’entre-deux-guerres, être de nouveau éprouvé en 1939-1945, sollicité par Vichy comme par la Résistance, se moderniser tout en gardant ses équilibres internes entre 1945 et 1960, puis subir une autre vague de modernisation, de 1960 à 1970, période passant par l’adaptation au marché européen et le sacrifice des petits exploitants, pour aboutir à la situation actuelle où les nouveaux paysans, confrontés à la mondialisation, se battent pour leur survie tout en se défendant contre l’accusation de polluer. Observant la force de l’ancrage terrien, l’auteur conclut qu’il n’est pas exclu de voir les paysans renaître.

Jean Sévillia

L’Histoire des paysans français, d’Eric Alary, Perrin, 376 p., 23,90 €.

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