Bernanos, le diable et le bon Dieu

La Pléiade présente les romans de Georges Bernanos dans une nouvelle édition en deux tomes. Et Monique Gosselin-Noat, une universitaire, consacre un essai pénétrant à ce « romancier du surnaturel ».

C’était une nuit de novembre, une nuit sans lune. Alors qu’il regagnait à pied son presbytère, revenant d’un lointain village, l’abbé Donissan s’était perdu dans la campagne. Il avait alors rencontré un maquignon qui, cheminant à son côté, s’était proposé de l’aider. Mais au bout d’un moment, le prêtre s’était aperçu que le mystérieux petit homme n’était autre que… le Malin. « Retire-toi, Satan ! », avait-il crié en luttant dans la boue avec le diable.
La scène est une des plus fortes de Sous le soleil de Satan, le premier roman de Georges Bernanos. Satan ? L’écrivain ne prenait pas le mot au sens figuré. Pour ce catholique de vieille roche, le démon n’était pas une image ou un mythe, mais une authentique puissance surnaturelle, vouée à détourner les hommes de l’amour de Dieu. Aujourd’hui où croire en Dieu ne va pas de soi, et où croire au diable se fait rare, voici une oeuvre qui change de l’air du temps.
Né à Paris en 1888, Bernanos passe son enfance en Artois, région où il plantera le décor de ses romans. Catholique, monarchiste, marqué par la Grande Guerre au cours de laquelle il a été plusieurs fois blessé, il s’essaie au journalisme, mais devient inspecteur d’assurances afin de subvenir aux besoins de sa famille. En 1926, le succès de Sous le soleil de Satan lui permet de se consacrer à l’écriture, mais l’impécuniosité le poursuivra toute sa vie. Après dix ans de création romanesque (L’Imposture, la Joie, Journal d’un curé de campagne, Nouvelle histoire de Mouchette), Bernanos publiera ses essais au cours d’une autre décennie de travail, de 1937 à 1948, année de sa mort.
Ses romans avaient été publiés en 1961 dans « La Bibliothèque de la Pléiade », édition jugée obsolète. Près d’une dizaine de spécialistes ont travaillé à une nouvelle édition en deux tomes des ¼uvres romanesques complètes de Georges Bernanos, qui s’ajoutent désormais, dans « La Pléiade », aux deux tomes des Essais et écrits de combat. Outre les grands romans dans leur texte originel, ces volumes comprennent des nouvelles (Madame Dargent), des romans moins aboutis (Un crime), Dialogues des Carmélites, qui sont un script de cinéma plus qu’une pièce de théâtre, et l’habituel appareil critique de la collection (1).
Georges Bernanos est un grand écrivain français, et un grand écrivain catholique, épithète qu’on n’accole pas à son nom par hasard. Ses romans, en effet, sont peuplés de prêtres (Donissan, Chevance, le curé d’Ambricourt). Ses histoires mettent en scène une humanité blessée par le péché, où la force du mal est combattue par la grâce divine, une grâce dont, jusqu’à son dernier souffle, la plus déchue des créatures peut attendre le salut. L’univers de Bernanos, métaphysicien au visage de romancier, donne à voir des paysages sombres, noyés de pluie, où s’agitent des êtres tombés dans l’alcoolisme, la violence et le désespoir, tentés par le suicide. Et, face à ce monde de la chute, d’humbles prêtres, âmes sacerdotales brûlées par l’amour de Dieu et habitées par le souci de leurs ouailles, luttent afin de ramener leurs brebis à Dieu.
Bernanos est un « romancier du surnaturel », observe Monique Gosselin-Noat. Dans un essai pénétrant, ce professeur émérite des universités, qui a participé à l’édition de « La Pléiade », analyse l’un après l’autre six grands romans bernanosiens (2). Dans son introduction, l’auteur rappelle que des écrivains non croyants comme Camus ou Malraux, ou un cinéaste athée comme Maurice Pialat, dont l’adaptation de Sous le soleil de Satan décrocha la palme d’or au Festival de Cannes en 1987, ont été interpellés en profondeur par Georges Bernanos. C’est que ce Dostoïevski français, avec sa foi entière et radicale, a éclairé d’une lumière crue le destin de l’homme, en lui laissant la lumière de l’espérance.

(1) Oeuvres romanesques complètes, suivies de Dialogues des Carmélites, de Georges Bernanos, « La Pléiade », deux tomes de 1376 p. et 1 296 p., 55 € chacun (ou un coffret à 110 €) ; 65 € chaque tome, 130 € le coffret à partir du 1er janvier 2016.

(2) Bernanos, romancier du surnaturel, de Monique Gosselin-Noat, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 264 p., 22,90 €.

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