Quand de Gaulle doutait

Le Commandeur a connu ses moments de déprime.

     C’est par une citation de De Gaulle que commence le nouvel ouvrage de Christine Clerc : « Le ciel était très bleu, la mer était très bleue, le soleil, écrasant, faisait luire l’acier sur le pont du navire… (…) Je regardais la mer et là, oui, j’ai songé au suicide. » Par ces mots, le Général évoquait son état d’esprit après sa défaite devant Dakar, en septembre 1940, quand le gouverneur de l’Afrique occidentale française, fidèle à Vichy, fit bombarder les navires anglo-gaullistes venus rallier le Sénégal à la France libre. De Gaulle traversé par l’idée du suicide ? L’aveu, confié à Philippe Dechartre en mai 1968, a été contesté, l’amiral Philippe de Gaulle, notamment, niant que son père eût jamais pu envisager de mettre fin à ses jours.
De Gaulle, c’est la légende incarnée : le Connétable orgueilleux, le Commandeur inflexible, l’homme d’airain fixé sur la réalisation de ses buts. Or Christine Clerc, à travers huit épisodes de la vie du Général, lui dessine un autre visage : celui d’un être humain à qui il est arrivé d’être saisi par le doute, la mélancolie, la « déprime ».
     Pendant la Première Guerre, il est blessé plusieurs fois, puis fait prisonnier par les Allemands. En 1917, d’Ingolstadt, il confie à ses parents « un chagrin qui ne se terminera qu’avec ma vie : être inutile aussi irrémédiablement ». En 1946, lors de son premier exil à Colombey, en 1953, après la chute du RPF, le Général traîne son désespoir. Il en est de même en 1965, lorsqu’il est mis en ballottage par François Mitterrand (qu’il traite d’« arsouille »), ou en mai 1968, quand il ne maîtrise plus les événements et se réfugie à Baden-Baden. Christine Clerc analyse finement l’échec du référendum de 1969, que de Gaulle semble avoir voulu perdre afin de se trouver une porte de sortie, jugeant que l’histoire d’amour entre la France et lui était irrémédiablement finie.
     L’ouvrage passe sous silence le drame algérien, au cours duquel le chef de l’Etat, sûr de lui, se montra d’une indifférence glaçante à l’égard des pieds-noirs et des harkis. Les pages les plus émouvantes, ici, sont celles où est évoquée Anne de Gaulle, la petite trisomique. Face à son enfant « pas comme les autres », de Gaulle, enfin, était un homme comme les autres.

Jean Sévillia

« Tout est fichu ! ». Les coups de blues du Général, de Christine Clerc, Albin Michel, 218 p., 16 €.

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques