Le 19 février dernier, le sergent-chef Harold Vormezeele, du 2e régiment étranger de parachutistes, était tué au nord du Mali. Engagé à la Légion étrangère en 1999, belge d’origine, il avait été naturalisé français en 2010. Le nom de ce soldat de 33 ans a rejoint la longue liste des morts au combat d’une des plus prestigieuses institutions militaires de la France.
Avec leur képi blanc et leur pas lent, les légionnaires remportent un triomphe, à l’applaudimètre, lors du défilé du 14 Juillet. La littérature, de Pierre Mac Orlan à Jean des Vallières, le cinéma, de Un de la Légion (Christian-Jaque, 1936) à Diên Biên Phu (Pierre Schoendoerffer, 1991), sans compter la chanson (« Il était mince, il était beau, Il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire! », mélodiait Edith Piaf) n’ont cessé d’entretenir le mythe.
A la fin du mois prochain sera fêté le 150e anniversaire de Camerone. Un combat qui, chaque année, est célébré comme le premier haut fait de la Légion. En 1862, Napoléon III veut fonder au Mexique un empire dont le trône est offert à l’archiduc Maximilien d’Autriche, frère de l’empereur François-Joseph. Un corps expéditionnaire est envoyé là-bas. Après un échec devant Puebla, les troupes françaises, ayant reçu du renfort, repartent à l’assaut au printemps de l’année 1863. L’offensive les mènera à Mexico le 7 juin. Mais auparavant aura eu lieu l’engagement de Camerone (Camarón en espagnol). Le 30 avril, près de ce village indien, à environ 60 kilomètres au sud-ouest de Veracruz, la 3e compagnie du Régiment étranger, repliée dans une hacienda en ruine, affronte pendant toute une journée, à un contre trente, pas moins de 2000 soldats mexicains.
A 9 heures, le siège commence. Le chef du détachement, le capitaine Danjou, officier qui a dix ans de Légion et plusieurs campagnes à son actif et qui porte une prothèse de la main gauche, fait promettre à ses hommes de tenir jusqu’à la dernière cartouche. Quand il est tué, à la deuxième heure de la bataille, les légionnaires ne cèdent pas. Vague après vague, les Mexicains attaquent. Sous un soleil de plomb, alors qu’ils n’ont rien à boire, les assiégés les repoussent chaque fois. Mais au fil du temps, leurs rangs s’éclaircissent. A 6 heures du soir, un assaut emporte les ultimes défenseurs de l’hacienda. Impressionné par l’incroyable résistance des légionnaires, le commandant mexicain force ses hommes à laisser la vie sauve à ce dernier carré. A la fin de la journée, sur un effectif initial de 61 officiers, sous-officiers et hommes du rang du côté français, il reste 15 hommes valides et 27 blessés : la 3e compagnie a perdu 70 % de son effectif. Mais les Mexicains comptent 300 tués et autant de blessés…
Depuis, à la Légion, faire Camerone, c’est se battre jusqu’au bout, la mémoire de ce combat occupant la première place dans les traditions légionnaires. Dans un petit livre qui se lit d’un trait, l’historien André-Paul Comor raconte en détail les tenants et aboutissants de cet épisode glorieux (1). En 1865, la main articulée du capitaine Danjou a été retrouvée. De nos jours, cette relique, pieusement conservée, est mise à l’honneur lors des cérémonies célébrant l’anniversaire de Camerone, le 30 avril, au quartier général de la Légion, à Aubagne.
Maître de conférences honoraire à l’IEP d’Aix-en-Provence, André-Paul Comor est un spécialiste reconnu de la Légion étrangère, à l’histoire de laquelle, avant ce Camerone, il avait déjà consacré trois livres. Et voici maintenant en librairie, avec une préface d’Etienne de Montety, directeur du Figaro littéraire et grand ami de la Légion, un remarquable ouvrage collectif, œuvre d’une soixantaine de collaborateurs dirigés par André-Paul Comor. Présenté sous la forme d’un dictionnaire, ce qui correspond à une ligne éditoriale de la collection « Bouquins », l’ouvrage décompose sous toutes leurs facettes l’histoire, les traditions et la culture de ces soldats en képi blanc qui font rêver les « fana mili » comme les amateurs d’aventures exotiques (2).
Fondée par une ordonnance de Louis-Philippe, le 10 mars 1831, aux fins d’engager des étrangers dans l’armée française, coutume qui vient de l’Ancien Régime, la Légion participe à la conquête de l’Algérie. Sous Napoléon III, elle est engagée en Crimée, en Italie et au Mexique. Au Tonkin, en Tunisie, au Dahomey, à Madagascar, au Maroc, les légionnaires participent ensuite à la grande aventure coloniale. De Verdun à la Somme, ils combattent sur les fronts principaux de la Grande Guerre. A l’entre-deux-guerres, ils s’illustrent au cours de la guerre du Rif et contre les Druzes au Liban. En 1940, après avoir participé à la prise de Narvik, la 13e DBLE rallie la France libre, mais la plupart des autres unités restent fidèles au maréchal Pétain. En 1941, lors des affrontements franco-français de Syrie, les chefs se ménagent mutuellement au nom d’un principe sacré : « La Légion ne tire pas sur la Légion. »
Le style « para-Légion » marquera l’armée
Viendront l’Indochine, Suez et l’Algérie. Certains régiments sont devenus des unités parachutistes, imposant un style (« para-Légion ») qui marquera plusieurs générations d’officiers. En 1978, le saut du 2e REP sur Kolwezi entre dans la légende.
Aujourd’hui avec ses 7000 hommes de 140 nationalités (20000 hommes à l’époque de la guerre d’Algérie), la Légion, dont trois des onze régiments sont basés outre-mer, reste une des meilleures forces de projection de l’armée française.
En ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Afrique, les légionnaires sont au rendez-vous de la mission qui leur est confiée. Jusqu’au sacrifice suprême : Français par le sang versé.
Jean Sévillia
(1) Camerone, 30 avril 1863, d’André-Paul Comor, Tallandier.
(2) La Légion étrangère. Histoire et dictionnaire, sous la direction d’André-Paul Comor, préface d’Etienne de Montety, Robert Laffont, « Bouquins ».