La Wehrmacht, école du crime

De la violence guerrière au crime contre l’humanité

     Le 6 mai 1945, Maximilian Siry, un général de la Wehrmacht, prisonnier des Britanniques, s’adresse à l’un de ses codétenus : « On ne peut pas le dire à voix haute, mais nous avons été beaucoup trop mous. Si on était allé au bout des atrocités, si l’on avait fait disparaître les gens sans laisser de traces, alors personne ne dirait rien. Ces demi-mesures, c’est toujours une erreur. » Aveu terrifiant, que son auteur profère en ignorant qu’un micro est caché…

     Pendant toute la guerre, les Anglais ont procédé à des écoutes de leurs prisonniers – officiers ou simples soldats – dans l’objectif de recueillir des informations ou des éléments psychologiques susceptibles de les aider dans la suite du conflit. Cinquante ans durant, les ­procès-verbaux de ces écoutes ont dormi dans les ­archives, jusqu’à ce que Sönke Neitzel, un Allemand, spécialiste d’histoire militaire et enseignant à l’université de Glasgow, devine l’intérêt de ce fonds. Il en a tiré la matière de deux livres, ­publiés en Allemagne en 2011 : une anthologie de ces procès-verbaux, et un essai qui, à partir d’extraits de propos de soldats, analyse la perception que les membres de l’armée ­allemande avaient de leurs méthodes guerrières et de leur attitude vis-à-vis d’Adolf Hitler, leur chef suprême.

     Ce second ouvrage, coécrit avec le sociologue Harald Welzer, paraît en français. S’il cède, malheureusement, au jargon universitaire, ce travail est passionnant. On a beau être prévenu, on reste confondu ­devant la violence ouvertement exposée ou revendiquée ici. En premier lieu contre les juifs, évidemment, mais aussi contre tous les civils, déshumanisés aux yeux des Allemands qui les tuaient, et spécifiquement contre les femmes, réduites à des objets sexuels. La nazification de la Wehrmacht, dans les années 1930, a certes préparé le passage de la violence de guerre ordinaire au crime contre l’humanité. Une question se pose cependant : la culture germanique d’autrefois, où l’individu s’effaçait totalement ­devant le groupe et ne discutait ­jamais un ordre, n’a-t-elle pas favorisé cette dérive?

Jean Sévillia

Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands,
de Harald Welzer et Sönke Neitzel, Gallimard, 620 p., 28,90 €. Traduit de l’allemand
par Olivier ­Mannoni.

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