Jaurès, incurable idéaliste

L’icône du socialisme français, marxiste hétérodoxe, vivait dans ses rêves.

     Le 31 juillet prochain, on célébrera le centième anniversaire de sa mort. Assassiné par un déséquilibré à la veille du premier conflit mondial, Jean Jaurès reste, selon la légende complaisante souvent donnée de lui, celui qui aura tout fait, avant 1914, pour conjurer le drame. Le malheur est que les grandes tragédies de l’histoire ne sont pas arrêtées, quand elles peuvent l’être, par les intentions nobles et les bons sentiments, mais par les idées justes et les politiques adéquates. « C’est nous qui avons raison de dire que l’ère des grandes guerres de nationalités est close », écrivait le leader socialiste en 1912. Lors du déclenchement de la Grande Guerre, son internationalisme pacifiste se sera donc fracassé sur le réel…
     Spécialistes et admirateurs de Jaurès, deux historiens lui consacrent une biographie pas totalement hagiographique et où les précisions fourmillent : le livre est donc à prendre pour sa valeur documentaire. D’origine bourgeoise, normalien, agrégé de philosophie, nourri des classiques grecs et romains, historien et journaliste, député du Tarn, tribun exceptionnel, fondateur de l’Humanité en 1904, le leader socialiste est un marxiste hétérodoxe : refusant la dictature du prolétariat, il tente de concilier l’idéalisme et le matérialisme, l’individualisme et le collectivisme, la démocratie et le syndicalisme, le patriotisme et l’internationalisme : « Un peu d’internationalisme écarte de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène », note-t-il.
     Lors de la poussée anticléricale du début du XXe siècle, il joue plutôt un rôle modérateur, de même qu’il tempère la tentation de la lutte des classes dans le monde ouvrier. Lecteur d’Eschyle à la plage, amoureux pudique, bon père, Jaurès possède par ailleurs une dignité qui force le respect de l’adversaire. Mais son incurable optimisme et son culte naïf des Lumières – la raison, le progrès, la fraternité universelle – font aussi de lui un homme qui, vivant largement dans ses rêves, peine à appréhender le réel. Ce tropisme idéaliste, contraire à l’esprit lucide et responsable qu’on est en droit d’exiger d’un homme politique, demeurera, hélas, une des caractéristiques de la gauche française.

Jean Sévillia

Jean Jaurès, de Gilles Candar et Vincent Duclert, Fayard, 686 p., 27 €.

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques