Etre juif en France occupée

Comment 75 % des Juifs de France ont-ils échappé au génocide ?

     Guy Benayoun se souvient. En 1942, son père, sept fois décoré pendant la Grande Guerre, se promenait dans Paris en affichant ses médailles et… l’étoile jaune que les Allemands venaient d’imposer aux Juifs. « Il n’était pas inconscient, il était courageux, commente le fils admiratif. Même lorsque nous allions à la synagogue, il les portait. » Sa famille fréquentait alors le temple de la rue Buffault, dans le IXe arrondissement, petite artère où se trouvaient cinq hôtels réquisitionnés par la Wehrmacht. C’est là que, durant toute la guerre, les Benayoun, Juifs originaires d’Algérie, se rendaient à l’office du shabbat en passant devant des soldats allemands… Image inattendue?

     Le témoignage de Guy Benayoun est rapporté par ­Jacques Semelin. Celui-ci, professeur à Sciences-Po et directeur de recherche au CNRS, publie un livre né d’une interrogation : 75 % des Juifs vivant en France en 1939 ayant échappé à la mort, quelles stratégies indi­viduelles ou collectives avaient-ils déployées afin d’échapper à la machine ­nazie? Quelle aide avaient-ils trouvée chez les non-Juifs? L’ouvrage s’appuie sur une vingtaine de journaux intimes ou notes personnelles écrits entre 1940 et 1944 et sur une trentaine d’entretiens menés avec des survivants. C’est de l’histoire, de la grande histoire, mais vue à travers de multiples histoires individuelles, toutes différentes mais toutes émouvantes.

     Il y a quinze ans, lors du procès Papon, le point de vue sans nuance de l’historien américain Robert Paxton – selon qui Vichy avait été tout entier complice de la Solution finale et l’opinion française à peu près indifférente au sort des Juifs – était devenu intouchable. L’ouvrage de Semelin fait au contraire ressortir la solidarité de la plupart des Français à l’égard des persécutés, et souligne que les Juifs français, du fait de leur nationalité, ont été mieux protégés que les étrangers, de même que le maintien d’un appareil étatique français a eu un effet bénéfique pour leur survie. L’historien n’exonère en rien la politique antisémite de Vichy mais, après d’autres chercheurs (Limore Yagil, Sylvie Bernay, Alain Michel), réintroduit ainsi de la nuance et de la complexité dans l’analyse d’un passé tragique.

Jean Sévillia

Persécutions et entraides dans la France occupée, de Jacques Semelin, Les Arènes-Seuil.

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