En histoire aussi, la vérité rend libre

Réponses de Jean Sévillia à un entretien sur les idées reçues en matière historique.

Comment se définit, en Histoire, le « politiquement correct » ?

     Globalement, il s’agit d’une lecture dupassé commandéepar l’idéologie actuellement dominante. Quelle est cette idéologie ? Celle d’un monde sans frontières, où les enracinements sont condamnéspar principe ; d’un monde multiculturel, où toutes les civilisations sont déclarées égales ; d’un monde voué au libre-échange humain et matériel, où toute référence morale et métaphysique est bannie dès lors qu’elleparaît faire obstacle au libre-arbitre individuel. Dans la pratique, en France, le politiquement correct appliqué à l’histoire se traduitpar un anti-occidentalisme systématique,par l’aversion à l’égard de notre héritage national, et surtoutpar une animosité non-dissimulée envers la présence du christianisme dans notre histoire, spécifiquement envers le catholicisme.

     Sur le plan méthodologique, le phénomène se traduitpar trois procédés principaux. D’abord l’anachronisme : lepassé est jugé àpartir des critères du présent. Analyser le Moyen Age,par exemple, époque communautaire et sacrale, au nom des droits de l’homme et d’une vision sécularisée de la société, c’est s’interdire de comprendre la civilisation médiévale. Deuxième procédé : le manichéisme. Les bons sont opposés aux méchants, mais toujours selon les canons d’aujourd’hui. Troisième procédé, enfin, la simplification. Alors que l’histoire est le lieu de la complexité, le politiquement correct interprète lepassé en fonction d’un ou deux facteurs explicatifs (le racisme, l’intolérance, etc.) tirés de l’arsenal idéologique contemporain.

     Lutter contre le politiquement correct en histoire, c’est tenter de retrouver la vérité d’une époque, que cette vérité soit ou non plaisante à nos yeux.

En 2003, vous avez écrit « Historiquement correct ». En 2011, vous publiez « Historiquement incorrect ». Y a-t-il une évolution ?

     Pas vraiment, puisque l’idéologie dominante est la même. Si l’on remontait plus haut dans le temps, des différences sensibles sauteraient aux yeux. Jusqu’aux années 1970, l’explication marxiste de l’histoire guidait de nombreux chercheurs. Je ne dis pas que le marxisme a disparu, mais celui-ci ne fait plus référence dans le monde de l’histoire. Entre 2003 et 2011, on note tout juste des inflexions dans le discours imposé. Mon Historiquement correct, il y a huit ans, faisait ainsi état de la polarisation du débat historique, dans les années 1990, autour des années d’occupation. La décennie 2000-2010 a plutôt été caractériséepar les polémiques concernant le bilan de la colonisation. Un durcissement s’observe actuellement, nourripar un véritable terrorisme intellectuel, autour de tout ce qui touche à l’histoire de l’islam.

Comme tristement exemplaire, vous évoquez l’affaire Gouguenheim, polémique sur ce que l’Occident médiéval doit aux Arabes…

     Après la publication de son livre Aristote au Mont-Saint-Michel, Sylvain Gouguenheim, enseignant à l’Ecole normale supérieure de Lyon, a subi une véritable chasse aux sorcières, visant rien moins qu’à obtenir son interdiction professionnelle. Tout cela au nom de la tolérance, bien entendu… Tout celaparce que ce médiéviste remettait en cause la vulgate aujourd’hui installée selon laquelle lepassage de la culture antique vers l’Occident s’est opéré grâce aux philosophes arabes. Gouguenheim n’a fait que rappeler que le Moyen Age latin a travaillé directement sur les textes grecs, que certains de ces textes luiparvenaientpar le canal de Byzance, que les traducteurs arabes, dans le monde musulman, étaient souvent des chrétiens, et que, globalement, le monde islamique n’a utilisé qu’une faiblepart de la pensée hellénique. Ce sont des faits historiquement établis, mais comme ils contreviennent au cliché d’une civilisation musulmane ouverte aux autres cultures, il devient interdit de les rappeler.

Vous traitez aussi bien des chrétiens et des juifs que de la France et de l’islam. Le traitement n’est pas exactement symétrique…

    Le christianisme est né du judaïsme. Leur séparation s’est faite dans la douleur, affrontement qui a laissé des traces durables des deux côtés. Dans un chapitre d’Historiquement incorrect, j’ai tenté de retracer jusqu’au XXe siècle cette relation difficile, mais en balayant certaines légendes : il n’estpas niable que la société de chrétienté a été dure pour les non-chrétiens, mais voir de l’antisémitismepartout dans lepassé occidental est une simplification abusive. Il reste que chrétiens et juifs, héritiers et détenteurs d’unpatrimoine commun, ontpartie liée, ce sur quoiJean-Paul II et Benoît XVI n’auront cessé d’attirer notre attention. Avec l’islam, la relation est radicalement différente pour les chrétiens : les textes sacrés ne sontpas les mêmes, la conception de l’homme et de la société non plus. La rencontre de la France et de l’islam s’est faite dans le cadre colonial, en posant des problèmes qui n’ont jamais été résolus. Après la liquidation des colonies, l’islam est restépar le canal de l’immigration. Un islam de France ou un islam européen est-il possible ? Une inconnue s’ouvre devant nous.

Vous parlez beaucoup de la France. N’est-ce pas le cœur du malaise ?

     Unpays qui doute de son identité au point d’être incapable de s’accorder pour la définir, comme on l’a constaté lors du débat de 2009-2010 sur l’identité nationale, est mal armé pour regarder sonpassé, etpartant mal armé pour aborder l’avenir : pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient.

Le Président de la République inaugure bientôt un Musée de la Grande Guerre à Meaux. Or vous affirmez que nous ne comprenons plus cette période…

     L’intérêt pour la Première Guerre mondiale va croissant, mais l’univers mental des combattants de 14-18 nous est de plus en plus incompréhensible. A l’heure de l’Europe unie, comment comprendre la haine du « Boche » (haine qui était la même dans l’autre camp) ? A l’heure du « droit à », comment comprendre l’expression « faire son devoir » ? Dans une société d’abondance et de confort matériel, comment comprendre ce que ces hommes ont enduré et ont accepté d’endurer ? Alors le cinéma, le roman ou la bande dessinée font revivre la Grande Guerre, mais en prêtant aux Poilus une mentalité d’aujourd’hui : fraternité internationale,pacifisme, révolte contre l’ordre militaire. Historiquement, cela ne correspondpas à la réalité. Si mystérieux que cela nousparaisse, les hommes de l’époque ont consenti à cette guerre. On peut le déplorer et juger que 14-18 aété une guerre civile européenne, ce n’est un jugement rétrospectif.

Dans votre livre, on voit qu’on fait souvent à l’Eglise et au christianisme des procès historiques. Ne sont-ils jamais justifiés ?

     L’Eglise est d’institution divine, mais elle est composée d’hommes qui sontpar nature imparfaits. Il seraitpar conséquent absurde de prétendre que lepassé de l’Eglise est sans tache. Regardons donc l’histoire de l’Eglise en face. Mais procédons comme des historiens authentiques et non comme des idéologues : examinons les sources, faisons-leur subir un examen critique, replaçons les faits dans leur contexte, analysons-les en les rapportant aux idées et aux mentalités du temps. Lespages sombres de la légende anticléricale s’éclairent alors d’un autre jour, même si, redisons-le, des moments de grande imperfection se repèrent dans l’histoire de l’Eglise, imperfection que l’Eglise, avec la force d’une institution qui traverse les siècles, a toujours su corriger. Les dérives de la Rome de la Renaissance ont provoqué la Réforme luthérienne, qui elle-même a suscité,par contrecoup, le renouveau spirituel de la Contre-réforme.

La condamnation de Galilée témoigne-t-elle ainsi de l’obscurantisme de l’Eglise ?

     Il est difficile de résumer en quelques mots une histoire aussi complexe que l’affaire Galilée, mais il faut retenir que l’astronome n’apas été condamné en soiparce qu’il professait l’héliocentrisme : le chanoine Copernic avait déjà affirmé que la terre tourne autour du soleil, et ce sans être inquiétépar les autorités ecclésiastiques. A Galilée, il était reproché de professer un système astronomique sans avoir les moyens de le prouver et en mêlant l’Ecriture sainte à l’affaire. Des considérations politiques sont également à l’origine du procès qui lui a été intenté. Mais l’Eglise de son époque n’étaitpas l’ennemie de la science. Elle ne l’a d’ailleurs jamais été.

En Histoire, la vérité finit-elle toujours par triompher du mensonge ?

     J’aimerais le croire, mais je n’en suispas certain. Des mensonges, infiniment répétés, répercutéspar l’école, les médias ou l’air du temps, finissentpar s’imprimer profondément dans les esprits, et le travail nécessaire pour les démasquer est sans fin. Ce n’estpas une raison pour se décourager. D’autant que des victoires peuvent être remportées. Par exemple, si les crimes du communisme sont moins rappelés que ceux du nazisme, plus personne ne nie aujourd’hui les horreurs de Katyn ou du goulag, ce qui n’étaitpas le cas il y a encore trente ans. En histoire aussi, seule la vérité rend libre.

Propos recueillis par Jean-Marc Bastière

Partager sur les réseaux sociaux

Nouveauté

Recherche

Thématiques